Né en 1962, Vincent Guichard dirige le Centre archéologique européen de Bibracte (mont Beuvray, Bourgogne). Ce dernier a été institué par le ministère de la Culture en 1990, au pied de la ville celtique abandonnée du même nom. Il accueille des chercheurs et étudiants issus de l’Europe entière. Vincent Guichard gère aussi le Musée de la civilisation celtique, qui a ouvert ses portes en 1996. Il commente l’actualité.
Un amendement proposant de diminuer de 25 % le financement de l’archéologie préventive a été voté par le Parlement le 18 décembre 2002. Que pensez-vous de cette mesure ?
Vincent Guichard : L’archéologie française vit une véritable révolution culturelle depuis la mise en application de la nouvelle loi sur l’archéologie préventive, voici un an. Cette loi, qui était appelée depuis des années par toute la profession, réaffirme que la gestion du patrimoine archéologique relève de l’État. Elle fixe également les redevances qui incombent aux aménageurs qui, par leurs travaux, détruisent des vestiges. Des parlementaires se sont fait l’écho à l’automne de taux de redevance jugés, à tort ou à raison, intolérables. Du coup, ce taux a été abaissé de 25 %. La loi requiert à l’évidence des ajustements – qu’il était d’ailleurs prévu d’évaluer après deux années de mise en œuvre –, mais l’on peut craindre que ces décisions précipitées mettent en péril l’établissement public mis en place début 2002 pour gérer l’archéologie préventive.
Malgré ces aléas, la période actuelle demeure passionnante à vivre. La nécessité de protéger et d’étudier le patrimoine archéologique menacé par des travaux est enfin reconnue par la collectivité, après que les archéologues français se sont employés à cela durant près d’un quart de siècle. La profession est désormais soumise à un nouveau défi. La sélection des sites à étudier se fait encore de façon très empirique, et il faut maintenant se donner les moyens de procéder à des échantillonnages sur des bases scientifiques (parce qu’il est impensable de tout fouiller), ceux également de toujours mener les recherches à leur terme, jusqu’à la restitution au public, par le biais de publications et d’expositions.
Bibracte vient d’être labellisé “pôle national de ressources pour l’archéologie” dans le cadre du plan Lang-Tasca pour les arts et la culture à l’école. Que pensez-vous de la réduction sensible de crédits alloués à ce plan ?
V. G. : L’enjeu du plan Lang-Tasca est de donner aux enfants les moyens de se composer une véritable culture, alors que l’école est critiquée, à juste titre, pour ne délivrer que des savoirs. Ce plan s’intéresse aux arts et aux humanités, tandis que d’autres se préoccupent, aussi légitimement, de culture scientifique. Il prévoit notamment la mise en place de pôles de ressources thématiques alliant un centre de compétences, un centre régional de documentation pédagogique et un institut universitaire de formation des maîtres. Ces pôles ont deux missions : identifier des ressources documentaires pour les enseignants et les services éducatifs des établissements culturels ; mener des actions de recherche et de formation. Deux de ces pôles concernent l’archéologie (l’un en Bourgogne, autour de Bibracte, l’autre en Dordogne, axé sur la préhistoire), parce que cette discipline est un support formidable pour combattre les cloisonnements entre les enseignements scolaires. Elle s’intéresse en effet à l’ensemble des activités humaines ayant laissé une empreinte durable dans le sol et elle met à contribution des approches très diversifiées (histoire de l’art, sciences naturelles...). Un atelier de pratique archéologique peut aussi bien étayer un cours d’histoire que donner une illustration pratique à un cours de mathématiques ou, mieux encore, concilier histoire et mathématiques. Il est certes déplaisant de voir un tel projet mutilé à peine plus d’un an après son lancement. Comme le plan propose une méthode d’action simple et pertinente – inciter professionnels de la culture et professionnels de l’enseignement à travailler ensemble –, je ne crois pas, en fait, que les moyens financiers soient un paramètre très limitatif. Le plus important était de lancer une dynamique et de jeter des ponts entre différents métiers. Ceci a été fait. L’enjeu est tel que les acteurs auront à cœur de développer cette dynamique.
La vague de rénovation de musées archéologiques se poursuit en Europe. Quel regard portez-vous sur ces nouvelles institutions muséales ?
V. G. : Il est vrai que l’on n’a jamais ouvert et rénové autant de musées d’archéologie que ces dernières années. On pourrait considérer que c’est une manifestation du repli sur soi souvent dénoncé, si cette frénésie ne concernait pas tout autant la création contemporaine. Je préfère considérer qu’elle traduit un besoin grandissant de repères concrets et tangibles pour penser l’avenir, dans un monde où la quantité et la rapidité de circulation de l’information nuisent au fonctionnement de la mémoire collective, et où l’image photographique n’est plus fiable, tant elle peut être sujette à des manipulations. Les musées peuvent et doivent répondre à ce besoin en présentant une vision sans concession du passé, qui n’omette pas de souligner le caractère fragmentaire de notre connaissance et qui évite les extrapolations historiques hasardeuses. Je m’en tiendrai à un seul exemple, auquel je suis confronté quotidiennement : celui de l’héritage “celtique” dont on nous rebat continuellement les oreilles, alors qu’aucun indice tangible ne nous permet de suivre la transmission de la culture celtique de l’âge du fer au-delà du IIe siècle après J.-C. Les musées archéologiques récemment ouverts montrent une préoccupation toujours accrue d’améliorer la qualité du discours et de la médiation qui accompagnent les objets. Le musée se transforme alors en centre d’interprétation. Cette approche est le plus souvent légitime, tant les collections ne tendent à être, sans cet environnement, que de la matière inerte. Il arrive aussi que l’on pèche par excès, lorsque les objets sont réduits à devenir les éléments d’une mise en scène, ainsi le spectaculaire et tout nouveau musée archéologique d’Alicante, en Espagne, qui donne matière à s’interroger sur les limites acceptables de la scénographie.
Vous êtes un des rares archéologues à avoir pu visiter la grotte Chauvet. Êtes-vous favorable à une solution de type Lascaux II pour ce site ?
V. G. : Ma première réaction est de dire que rien ne peut remplacer l’émotion que procure le face-à-face avec les grands panneaux peints du fond de la grotte, après avoir emprunté le même parcours souterrain que ceux qui les ont réalisés voici vingt-cinq mille ans (deux fois l’âge des peintures de Lascaux). Cela dit, la fragilité de la grotte – les peintures, mais aussi les multiples traces visibles sur le sol tout comme les concrétions des parois – exclut la possibilité d’une ouverture au public. Partant de là, un palliatif à cette frustration doit être trouvé. Lascaux II, réalisée avec des moyens modestes, propose une solution honorable, puisque le visiteur ne ressort pas indifférent de la reconstitution. Dans le cas de la grotte Chauvet, un projet nettement plus ambitieux est à l’étude, à l’initiative du conseil général de l’Ardèche : une ample restitution accompagnée d’un espace d’interprétation, le tout à moins de trois kilomètres du site véritable. Ce que je connais du projet me laisse penser que ce sera une réussite, sous réserve que l’on parvienne à mettre le visiteur dans les mêmes conditions que le visiteur du vrai site : mériter l’accès à l’entrée de la grotte et visiter la cavité elle-même dans le silence des profondeurs. Le principal souci sera donc de gérer correctement le très important flux de visiteurs qui est attendu dans ce lieu éminemment touristique des gorges de l’Ardèche. En tout cas, le défi devait être relevé. J’apprécie que l’on s’achemine vers une restitution réaliste et matérielle et que l’on ait laissé de côté les procédés d’imagerie virtuelle.
Des découvertes archéologiques ou des expositions ont-elles récemment retenu votre attention ?
V. G. : D’une façon générale, je fuis les grandes expositions rétrospectives (qu’elles soient d’archéologie ou d’art). Ces concentrations d’objets ne sont satisfaisantes ni pour le grand public, qui ne peut appréhender correctement des alignements d’œuvres souvent répétitives, ni pour l’amateur averti, qui n’aura jamais des conditions d’observation correctes dans la bousculade, ni pour les centaines d’œuvres manipulées à ces occasions. J’ai fait une entorse à cette règle l’été dernier en visitant la grande exposition d’archéologie celtique organisée à Francfort. Cela n’a fait que conforter mon point de vue. Je recommanderais plutôt la visite d’une exposition inhabituelle, Futur antérieur, au petit musée romain de Vidy-Lausanne (dans la banlieue de Lausanne). Un conservateur à l’esprit curieux s’y interroge sur la possibilité d’une approche archéologique des témoignages matériels que laissera notre époque. Bien évidemment, la réponse est laissée à l’appréciation du visiteur ! Côté découvertes, je voudrais que l’on se rende compte qu’il ne se passe pas une quinzaine sans que le sol de notre territoire ne livre du spectaculaire. Trop peu encore sont connues du grand public, parce que la communication n’a jamais été le point fort des archéologues – il faut dire aussi que la synergie avec les musées susceptibles d’accueillir et de montrer les découvertes reste très problématique : le bon mode opératoire, de la fouille au musée, reste à inventer. Ce passé surgit de façon très incongrue (comme ces mystérieuses fosses communes regroupant chevaux et humains à une portée de catapulte de Gergovie, au printemps dernier) et dans les endroits les plus inattendus, comme cette nécropole gauloise dans l’enceinte de l’hôpital de Bobigny, à l’automne, ou cette pirogue, sur le site du futur Musée des arts premiers, il y a peu. Le plus étonnant qu’il m’ait été donné de voir ces dernières années est ce groupe de deux riches tombes à char gauloises, le long des pistes de l’aéroport de Roissy. En fait, il n’est pas un hectare de terrain qui ne recèle des restes archéologiques.
Bibracte, Musée de la civilisation celtique, 71990 Saint-Léger-sous-Beuvray, tél. 03 85 86 52 39, www.bibracte.fr
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Vincent Guichard
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°163 du 24 janvier 2003, avec le titre suivant : Vincent Guichard