Le chanteur, fils d’écrivain et d’illustratrice, voue une passion pour la photographie et la caméra, qu’il braque, dans ses textes, vers son intériorité.
L’œil - Après cinq ans d’absence discographique, vous revenez avec un album, Les Amants parallèles, construit comme un film, comme une bande originale, autour d’une histoire d’amour. Vos chansons ressemblent souvent à des synopsis…
VINCENT DELERM - J’avais envie de faire là quelque chose de différent. C’est un album concept, sur la thématique amoureuse développée sur la durée. Je voulais évoquer une aventure qui occupe beaucoup de place dans ma vie, comme si j’avais branché une caméra à l’intérieur de moi ; c’est un témoignage, ni idéalisé ni condamné. Ceux qui écouteront l’album pourront y projeter un peu d’eux-mêmes. Déjà, avec mon spectacle Memory, j’avais imaginé un personnage de fiction que j’incarnais. Quand j’étais plus jeune, je voulais faire du théâtre mais je ne me trouvais pas très doué, et c’est ainsi que je suis allé vers la chanson. Et dans chacune de mes chansons, je fais vivre mes textes, des textes que j’ai d’abord chantés en m’accompagnant seul au piano, puis en ajoutant des voix off et un univers visuel faisant référence au cinéma, à la photo, aux vieilles publicités télévisées, jusqu’à Memory, suite logique de mon travail. J’incarnais un homme névrosé par la question du temps qui passe, et cela est prétexte à de nombreuses séquences, films, expositions, installations plastiques, scènes jouées en direct. J’y ai confronté notre volonté d’être tournés vers l’avenir et notre instinct de se replier sur le passé de manière nostalgique.
Avec Memory, vous vous étiez lancé en effet dans un ambitieux spectacle aux Bouffes du Nord, avec le concours de Macha Makeïeff pour la mise en scène, mêlant jeu d’acteur, texte, vidéo… Aimez-vous mélanger différentes disciplines artistiques ?
Je n’avais pas dévoilé ce spectacle avant de le monter car je voulais que cela reste une surprise, avec des textes de théâtre joués et de nombreuses vidéos projetées. J’aime alterner les pratiques artistiques. Memory, c’était un changement de focale pour moi. Les vidéos ont été réalisées à partir de vieilles bobines 16 mm, de films Super 8 que j’ai tournés, de films de famille trouvés dans des brocantes, sur Internet… On a visionné tout cela pour trouver des ambiances des années 1970, des mariages, des communions, etc. C’était une époque où on se posait beaucoup de questions, j’avais envie de comprendre comment on imaginait l’avenir dans ces années-là. J’ai visionné jusqu’à la fin chaque film, enchaînant parfois des scènes sans lien les unes avec les autres ; c’était passionnant de suivre une famille, d’en percevoir la logique, les relations, les différents caractères. Et j’avais le sentiment de redonner une seconde vie à ces bobines.
Le cinéma semble vous fasciner, avec notamment Truffaut à qui vous consacrez votre maîtrise de lettres, Fanny Ardant à qui vous déclarez votre flamme en chanson, Mathieu Amalric à qui vous demandez de réciter le générique de fin de l’album Kensington… Êtes-vous un cinéphile averti ?
Je suis attaché aux personnalités du cinéma, aux individus, acteurs autant que metteurs en scène ou compositeurs de musique de films… particulièrement les réalisateurs qui traitent des problématiques amoureuses : Rohmer, Assayas, Desplechin, Moretti… J’aime aussi le cinéma léger et poétique des premiers Philippe de Broca, notamment L’Homme de Rio dont la photographie d’Edmond Séchan est magnifique. Je suis sensible au grain des films, comme en musique au souffle. Le dernier album Les Amants parallèles contient beaucoup cette volonté de souffle et, effectivement, les codes du cinéma : les voix off, les textes dits, une narration qui traverse le disque…
Auriez-vous envie de réaliser un long-métrage ?
Non, pour une question de savoir-faire. Car il ne suffit pas d’avoir envie.
Comment créez-vous vos chansons ?
Ce soir, par exemple, je griffonnerai probablement. J’aime m’inspirer de détails du quotidien pour écrire, témoigner d’une émotion, d’un sentiment. Je garde également la mémoire de tous mes projets abandonnés, non aboutis. Quand je commence une mélodie, il est rare que je ne la finisse pas, alors que pour un texte, cela est beaucoup plus compliqué. L’écriture d’une chanson ne ressemble à rien d’autre. On qualifie parfois mes chansons de minimalistes, mais c’est juste la vie qui est comme cela, qui ne retient pas forcément les éléments les plus importants.
L’image fixe vous séduit aussi et vous avez même réalisé plusieurs livres de photographies…
À la fin de la tournée effectuée après l’album Quinze chansons, j’ai fait un livre de photos accompagnées de textes. Des photos tous azimuts, en noir et blanc, en couleur, pour exprimer ce qu’est une tournée. Cela a été jubilatoire. Je fais de la photo depuis longtemps, mais ce livre est le plus intime que j’ai réalisé, car j’ai voulu capter tous les instants de ces expéditions : salles de concert, loges, relations avec le public…
Quels univers inspirent vos photographies ?
Je ne crois pas qu’un univers inspire la photo. On cadre des choses pour attirer l’attention là où peut-être le regard d’un autre serait passé sans faire attention. En tant que spectateur, j’ai comme beaucoup de gens une fascination pour la photographie américaine et les premiers coloristes du genre, Stephen Shore en tête. Une forme de mythologie des paysages américains, des drive-in, des motels… Je n’ai pas d’ambition dans la photographie. Je fais des photos ; parfois elles servent un projet (le livret du dernier album, un portrait d’Ibrahim Maalouf pour son premier disque), parfois je les garde pour moi.
Aujourd’hui, il y a des outils liés au net comme Tumblr, qui permettent de faire vivre les choses sans la lourdeur de la mécanique d’une exposition ou de l’édition. C’est comme pour le cinéma : derrière tous les photographes qu’on admire, que ce soit Martin Parr, Manuel Álvarez Bravo ou Raymond Depardon, il y a un individu. Sur lequel on spécule, on imagine des choses de lui. La question de l’individu revient toujours. Elle était au cœur de l’installation photo et vidéo Ce jour-là que José-Manuel Gonçalvès m’a permis de faire en septembre au 104 à Paris.
Êtes-vous collectionneur ?
J’achète beaucoup de livres de photos, anciennes comme contemporaines, mais je ne collectionne pas. À part les appareils de stéréoscopie. Il y a beaucoup de vie dans ces images arrêtées que l’on voit en relief. Je fréquente souvent les puces et j’y achète des choses qui ne servent à rien, des photos, des diapos ; j’en ai des stocks. Je les entrepose, et peut-être m’en servirai-je un jour dans l’un de mes spectacles.
Vous à qui l’on a reproché d’être bobo intello, vous intéressez-vous à l’art contemporain plutôt conceptuel ?
L’art conceptuel me semble un domaine très codifié ; du coup, on a toujours un peu peur, quand on ne domine pas ce sujet parfaitement, de l’évoquer. Le principe « d’installation » en général me touche, l’idée de faire naître une idée ou une sensation ou une opinion dans l’espace d’une pièce a quelque chose à voir avec ce qu’on essaie de mettre en place avec la scénographie d’un spectacle.
Vos parents, artistes tous les deux, l’un écrivain, l’autre illustratrice et photographe, vous ont-ils transmis leur passion ?
Mes parents étaient avant tout profs, je ne les voyais jamais écrire ni peindre. Il n’y avait aucune sacralisation de ces domaines. Ma mère déteste par exemple l’idée d’avoir un atelier de peintre. Quand elle peint, elle sort ses pinceaux et son papier à dessin, et ensuite ça disparaît. Cela n’empêche pas le fait que ça compte énormément pour elle, au contraire. Je suis un peu comme elle avec la chanson, à l’œil nu chez moi on ne dirait pas que c’est un « appartement de chanteur ».
Vous avez grandi en Normandie, appréciez-vous particulièrement les impressionnistes ?
J’avoue que je suis moins touché par la peinture que par la photographie. Peut-être les cars scolaires nous ont-ils trop emmenés à Giverny effectivement ! Je suis presque davantage sensible aux croquis, aux esquisses qu’au résultat final. Mais cela vaut autant pour les peintres du XIXe que pour les ébauches au crayon des personnages de Walt Disney. J’ai un ami qui dit toujours qu’il se garde Léo Ferré à découvrir pour plus tard, je me dis la même chose avec la peinture…
Vous, le touche-à-tout, quel nouveau challenge vous fixez-vous ?
La scène, la chanson, la photo… Je n’ai pas de stratégie de carrière. Chez moi, il n’y a rien au mur qui puisse évoquer un quelconque disque d’or ou une quelconque distinction. Ma seule ambition : faire le mieux possible, produire quelque chose de touchant, pas un bilan de compétences ou un bilan des compétences de ceux qui vous ont précédé. Créer implique pour moi de beaucoup travailler, même si les fragilités doivent être gommées pour le public, qui doit, lui, avoir une impression de fluidité. Quand je compose une chanson, je ne suis pas rapide, comme Gainsbourg par exemple. Je ne m’oblige en rien, par rapport à un producteur ou à une maison de disques. J’ai la chance de travailler avec des gens qui me laissent garder les clés en permanence.
Cinéphile et photographe à ses heures, Vincent Delerm accompagne son cinquième album, Les Amants parallèles, d’un livre de ses photographies. En couleur ou noir et blanc, les images du chanteur captent des objets isolés, des détails et des gros plans comme celui d’un lit, la vue d’une fenêtre, mais également des portraits. Intérieurs intimistes ou paysages inspirés de la photographie américaine, elles content les moments de vie d’un couple que l’on suit en treize chansons conçues comme treize chapitres d’un unique roman.
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Vincent Delerm - Peut-être les cars scolaires nous ont-ils trop emmenés à Giverny
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Abonnez-vous dès 1 €1976 Naissance à Évreux
2003 Son premier album, intitulé Vincent Delerm, reçoit la Victoire de l’album révélation aux Victoires de la musique
2009 Les concerts donnés à l’occasion de son quatrième album, Quinze chansons, donnent lieu à la publication d’un album photo de la tournée
2012 Chevalier des Arts et des Lettres
2013 Sortie du cinquième album, Les Amants parallèles, avec un livret de photos
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°667 du 1 avril 2014, avec le titre suivant : Vincent Delerm - Peut-être les cars scolaires nous ont-ils trop emmenés à Giverny