La « production » d’événements de plus en plus importants et la location d’œuvres à des musées étrangers changent la donne pour les expositions temporaires. Une nouvelle ère semble se dessiner...
E n 1963, La Joconde embarquait sur le paquebot France pour les États-Unis, malgré les protestations des conservateurs du musée du Louvre. « Certains évoquent les risques encourus par ce tableau en quittant le Louvre, déclarait alors André Malraux, ministre des Affaires culturelles, à Washington devant le président Kennedy. Ces risques sont réels, bien qu’exagérés. Mais les risques pris par les garçons qui débarquèrent un jour en Normandie (...) étaient bien plus certains. Au plus humble d’entre eux, (...) je voudrais dire (...) que le chef-d’œuvre auquel vous rendez un hommage historique ce soir, Monsieur le Président, est un tableau qu’il a sauvé. » Le ton était donné.
Un business pas comme les autres
En 2007, c’est L’Annonciation de Léonard de Vinci qui quittait le musée des Offices, à Florence, pour le Japon, malgré la présence d’un sénateur qui s’était enchaîné aux grilles du musée en signe de protestation. À chaque fois, la volonté politique l’a emporté sur les préconisations des scientifiques. Même si certaines œuvres sont trop fragiles pour supporter un déplacement, la prime à l’événement n’épargne pas toujours le monde des musées. Il y a peu encore, tous les experts affirmaient qu’il était impossible d’organiser une grande exposition consacrée au maître de la Renaissance italienne, Raphaël, faute de pouvoir déplacer les tableaux. Mais le Portrait de Balthazar Castiglione (1414-1415) était dans le lot des œuvres louées en 2006 par le musée du Louvre au High Museum d’Atlanta.
L’exposition temporaire ne pourra – ou ne devrait – donc jamais être un business comme un autre. Pourtant certains musées, d’ordinaire si réticents à octroyer des prêts, exportent désormais leurs collections vers l’étranger moyennant finances : le Louvre à Abou Dhabi, le Centre Pompidou en Asie, le musée des Textiles de Lyon à Dubaï... En vendant en sus des prestations d’ingénierie. Mais in fine, les mouvements d’œuvres ont bien lieu. Et une chose est sûre : les pièces expédiées à l’étranger pour plusieurs années ne pourront pas faire l’objet de prêts à un quelconque autre musée.
Est-ce à dire que le vivier risque de s’appauvrir ? Probablement. Reste à savoir si cela aura des conséquences sur le nombre d’expositions temporaires. Car contrairement aux idées reçues sur le caractère pléthorique des réserves de musées – argument fallacieux pour les partisans de l’aliénabilité –, les ressources ne sont pas inépuisables. Un tarissement de la source pourrait en effet limiter, à terme, le nombre de manifestations (mais aussi les dépôts dans les musées régionaux). Certains en feraient bien leur affaire, qui regrettent l’inflation considérable de leur nombre au cours de ces dernières années. Notamment au sein de la RMN, où l’on pense que toutes les expositions temporaires n’ont pas leur place. Coûteuses, elles sont rarement bénéficiaires. Limiter l’offre rendrait donc plus copieux le partage du gâteau dans un rapport de force favorable aux plus gros opérateurs.
Et la mission de service public ?
De leur côté, les professionnels des petits musées plaident en faveur de leur programmation d’expositions temporaires, seule susceptible de renouveler le public de leur établissement. « Mais en travaillant sur les collections permanentes, on peut aussi faire venir le public ! », rétorque la RMN. Le Musée national d’art moderne l’a bien compris, en pratiquant le big-bang régulier de son accrochage.
Les œuvres d’art sont donc aussi devenues un enjeu du rapport de force entre établissements culturels. Quitte à oublier de remplir un autre but : faire progresser la connaissance. Une mission de service public, en somme, parfois négligée aux dépens des seules considérations économiques...
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Vers une raréfaction de la manne ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°600 du 1 mars 2008, avec le titre suivant : Vers une raréfaction de la manne ?