VENISE / ITALIE
Sur près de 14 000 logements sociaux promis depuis l’an 2000, à peine 200 ont été réellement construits et beaucoup ont été déjà loués à des touristes.
Venise. Deux périls menacent Venise : la montée des eaux et la baisse de sa population. Car si avant la pandémie plus de 30 millions de touristes par an se massaient sur ses canaux, entre 1 000 et 1 500 Vénitiens désertaient ses calli . Le nombre d’habitants a ainsi été divisé par deux en une quarantaine d’années. Ils ne sont plus désormais qu’à peine 52 000, la plupart retraités, à vivre dans un centre historique voué au tourisme de masse. Un secteur qui représente 65 % des emplois et génère 3 milliards d’euros par an. « C’est la seule vache à lait qui compte, déplore Marco Gasparinetti, fondateur de l’association Gruppo 25 Aprile, en première ligne pour lutter contre le dépeuplement de la ville. Le projet de la municipalité est de la vider de ses habitants pour mettre à profit chaque mètre carré. » De nombreux Vénitiens en sont plus ou moins volontairement complices. Si certains ont été contraints d’abandonner le centre historique incapables d’affronter des loyers et un coût de la vie exorbitants, d’autres ont préféré déménager sur la terre ferme pour faire fructifier au mieux un appartement de famille.
Le maire Luigi Brugnaro, qui lui-même ne vit pas sur la lagune, promet pourtant d’avoir à cœur le développement de l’offre de logements sociaux pour répondre au défi démographique. Il vient d’être démenti par ses administrés. Après la dissolution en 2014 de l’observatoire municipal sur le logement, l’observatoire citoyen OCIO (acronyme d’Osservatorio civico sulla casa e la residenza) a décidé de prendre le relais et de combler le manque d’informations en la matière. Son dernier rapport « Habiter la ville : politiques du logement à l’époque du tourisme de masse » déplore « l’hypocrisie » de l’édile. 11,3 % des logements sociaux disponibles restent vides sous le prétexte de travaux d’entretien, mais il est probable que le véritable motif soit de les transformer en résidences touristiques. OCIO dénonce la gestion des trois derniers maires de Venise quelle que soit leur appartenance politique. Depuis l’an 2000, ils ont ainsi promis la création de 13 900 logements sociaux. À peine plus de 200 ont été construits.
Certains appartements, à l’origine destinés à héberger des Vénitiens, accueillent désormais des touristes. Sur les 137 appartements à bas loyer qui devaient être aménagés dans une ancienne usine sur le Canale della Giudecca, 80 l’ont effectivement été dont 37 sont déjà occupés par des touristes. Un cas qui pourrait se répéter avec les 56 500 mètres carrés vides sur l’île de Sant’Elena, l’une des dernières aires constructibles à Venise. Depuis 2003, la municipalité assure qu’elle sera destinée à l’édification de logements sociaux. Elle vient d’être confiée à un promoteur immobilier pour construire « des logements privés de luxe » . Le conseil municipal lui demande de ne pas les exploiter à des fins touristiques en sachant qu’aucune législation ne lui permettrait de faire respecter cette injonction.
Manque de volonté mais également manque de moyens financiers. L’ATER de la Province de Venise (Agence territoriale du logement) est le principal acteur du logement social dans la ville. Au cours de la décennie 2009-2018, environ 85 millions d’euros ont été investis pour de nouvelles constructions, acquisitions, restauration ou entretien de son parc immobilier. Mais si 41 millions d’euros avaient été mobilisés au cours des trois premières années, moins de 7 millions l’ont été pour les trois dernières avec un effondrement de 7,5 millions d’euros en 2015 à 1,6 million d’euros en 2016. Le nombre de logements mis à disposition des Vénitiens recule mais pas celui des appartements loués à des touristes. En 2019, le nombre de lits disponibles pour les touristes dans le centre historique était équivalent à celui des habitants, soit 52 000. Une hausse de 93,3 % en cinq ans.
Avec la récession économique provoquée par la pandémie qui a durement frappé Venise dépendant de sa monoculture touristique, la situation ne devrait pas s’améliorer. L’enthousiasme du maire au retour des navires de croisière qu’il avait pourtant juré de bannir [lire encadré ci-dessous] est un signe qui inquiète aussi bien les associations de défense du patrimoine que l’Unesco. « Cela pourrait avoir un grave impact négatif sur l’identité et l’intégrité de Venise, peut-on lire sur son site Web. La question du logement devrait être l’une des principales priorités du plan de gestion. » La seule gestion envisagée pour l’instant est celle du retour des touristes et de leur manne financière.
Paquebots : la mairie se renie
Tourisme. C’était pourtant une promesse du ministre de la Culture répondant à une exhortation de l’Unesco répétée depuis près d’une décennie. Interdiction serait faite aux navires géants de croisière de naviguer dans le centre historique de Venise une fois la pandémie de Covid-19 terminée. Une promesse cruellement démentie le 5 juin dernier avec le gigantesque MSC Orchestra (92 000 tonnes, 294 mètres de long, 32 mètres de large, 60 mètres de haut) avançant sous les huées vers la place Saint-Marc. Après 17 mois d’interruption forcée, ces monstres des mers reprenaient leur traversée de la lagune. Des manifestants brandissant des banderoles « Non aux navires de croisière » ont crié leur opposition à bord de petites embarcations à moteur autour du MSC Orchestra. Les récents incidents qui se sont multipliés sont dans toutes les mémoires dont celui, en juin 2019, du paquebot qui avait heurté un quai d’embarquement du canal de Giudecca. En mars dernier, les ministres de la Culture, du Tourisme, de l’Environnement et des Infrastructures signaient un décret bannissant les navires de croisières de la lagune. Mais la perspective des 11 millions de touristes déversés chaque année par ces « gratte-ciel des mers » générant près de 300 millions d’euros de retombées économiques a été plus forte pour la municipalité.Une lettre ouverte intitulée « Un décalogue pour Venise » a été envoyée au président italien Sergio Mattarella, au Premier ministre Mario Draghi et au maire de Venise pour demander, entre autres, un « arrêt définitif » de la circulation des paquebots. Elle a été signée par de nombreux artistes internationaux de Mick Jagger à Wes Anderson, mais aussi par l’ancienne ministre française de la Culture, Françoise Nyssen.
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Venise : la municipalité ne tient pas ses engagements en matière de logement social
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°570 du 25 juin 2021, avec le titre suivant : Venise : la municipalité ne tient pas ses engagements en matière de logement social