A Amsterdam, le Musée Van Gogh inaugure cet été son extension dévolue aux expositions, bâtie par Kisho Kurokawa, avec un hommage au frère du peintre, le marchand Theo van Gogh, tandis que le Rijksmuseum présente une magnifique anthologie de la nature morte au Siècle d’Or, un genre que Vincent devait porter plus tard à un nouvel apogée.
“L’architecture de Kisho Kurokawa n’est jamais neutre”, rappelle John Leighton, directeur du Musée Van Gogh, à Amsterdam. La découverte de l’extension construite par l’architecte japonais ne saurait lui donner tort. Derrière le bâtiment originel de Gerrit Rietveld, la nouvelle aile pour les expositions, que l’on découvre aussi depuis le parc, ne craint pas les contrastes. Aux volumes cubiques du premier, elle oppose ses courbes, ses parois inclinées et son plan en ellipse ; à la brique aux teintes douces, elle préfère la pierre grise du Canada, le titane et l’aluminium. L’ellipse dans laquelle s’inscrit à la fois le bâtiment et une cour sous le niveau du sol peut être comprise comme une interprétation contemporaine du principe du vide et du plein, cher à la culture japonaise.
Autant l’aspect extérieur inquiète par sa sévérité et par sa façade hermétiquement fermée du côté du parc, autant l’intérieur surprend par ses volumes généreux et lumineux. Depuis le musée lui-même, on accède par un escalier à une galerie qui cerne la cour, sur les pavés de laquelle une mince pellicule d’eau s’écoule tranquillement. Face à cet espace de circulation vierge d’œuvres – pour l’instant ? –, se trouve une première salle d’exposition qui accueille, pour l’inauguration, une présentation du travail de Kurokawa. Plans, maquettes et photos évoquent ses créations, de l’aéroport de Kuala Lumpur à la Pacific Tower de La Défense, à Paris, en passant par les musées au Japon, comme le Ehime Prefectural Museum of General Science.
Un escalier sur un plan original en amande mène à l’étage, entièrement occupé par une vaste salle, de plain-pied avec le parc. L’architecture autiste et inquiétante de l’extérieur ne laissait pas deviner l’atmosphère sereine créée par les flots de lumière s’écoulant depuis l’ouverture comprise entre le sommet des murs et le toit convexe. Quant au parallélépipède revêtu d’aluminium qui transperce la paroi et dont une partie déborde au-dessus de la cour, il abrite un cabinet d’arts graphiques.
Pour inaugurer ce nouveau lieu d’exposition, hommage est rendu à celui sans qui le musée n’existerait pas : Theo van Gogh, le frère de Vincent. La plupart des œuvres de la collection lui ont en effet appartenu, avant d’être données par son fils Vincent Willem, par l’intermédiaire de la Fondation Vincent van Gogh, en 1962. Theo fut l’un des marchands les plus influents de la place parisienne dans les années 1880, et son activité, ainsi que le montre cette exposition, ne s’est pas limitée à la défense de l’avant-garde. Employé par Goupil & Cie, le frère de Vincent vendait aussi bien des œuvres de Bouguereau ou de Gérôme que des toiles de l’École de Barbizon, même si l’on a surtout retenu ses efforts pour promouvoir des peintres comme Monet, Pissarro, Gauguin ou Redon. À cette partie consacrée à son activité de marchand s’ajoute l’évocation de ses goûts de collectionneur, dont le musée offre déjà un si bel échantillon. D’ailleurs, les toiles les plus passionnantes, comme les autoportraits de Gauguin, d’Émile Bernard et de Charles Laval, appartiennent au Musée Van Gogh.
Une opération nippo-japonaise
L’immense succès du Musée Van Gogh avait rendu nécessaire non seulement la création d’un espace d’exposition autonome, mais aussi la rénovation complète du bâtiment primitif. Inauguré en 1973, le Musée a en effet accueilli près d’un million de visiteurs en moyenne ces dernières années, alors que 60 000 visiteurs annuels étaient attendus à l’époque de son inauguration, en 1973. Pour bâtir une nouvelle aile, “nous avons cherché un architecte d’une part et de l’argent d’autre part, explique John Leighton. Nous avons d’abord trouvé l’architecte, Kisho Kurokowa, qui lui-même nous a mis en relation avec la société Yasuda.” Manière d’expliquer que le choix de Kurokawa n’a pas été déterminé par la participation financière de la société japonaise, elle-même propriétaire d’une version des Tournesols. D’ailleurs, l’architecte a été choisi pour son expérience dans la création de musées.
Dans les collections permanentes, l’accrochage a été revu : la présentation des chefs-d’œuvre de Van Gogh au premier étage a été allégée, tandis que le reste de sa production a été installé au deuxième, dans une sorte de réserve visitable, ou dispersé dans le parcours du quatrième sur les courants artistiques de la fin du XIXe siècle.
Le pays de la nature morte
Par ses audaces expressionnistes, Vincent a donné à la nature morte une importance qu’elle n’avait jamais eu dans l’invention de nouvelles formes. Au Siècle d’Or, les artistes des Pays-Bas avaient pourtant porté cet art à une certaine perfection. L’exposition du Rijksmuseum en administre la preuve, des prémices du genre – avec Joachim van Beuckelaer et Pieter Aertsen – aux luxuriances de Jan van Huysum, au début du XVIIIe siècle. Le musée amstellodamois, si riche en chefs-d’œuvre de la nature morte, n’a pas cédé à la facilité de bâtir l’exposition en s’appuyant trop largement sur sa collection. Les commissaires ont au contraire recherché des tableaux dans d’autres collections privées et publiques, américaines notamment, avec pour seul critère la qualité. Deux petits panneaux de Gerrit Dou, des étagères en trompe-l’œil, originellement présentés ensemble et aujourd’hui répartis entre Hartford et Los Angeles, ont par exemple été réunis pour l’occasion. En parcourant cette anthologie du genre, présentée chronologiquement, se succèdent bouquets de fleurs et tableaux de chasse, sans oublier les célèbres Banketje monochromes. Figurent également quelques tableaux plus singuliers, comme ces Paons morts de Rembrandt, judicieusement accrochés à côté d’un Cygne mort et autres oiseaux de Jan Baptist Weenix, ou ces inquiétants Coquillages d’Adriaen Coorte. Ce dernier témoigne à sa façon de la persistance à la fin du XVIIe siècle d’une manière épurée, alors que la nature morte semble céder à l’exubérance décorative et à la pure virtuosité.
Parallèlement, une exposition-dossier dévoile les secrets de la peinture qu’ont révélés les examens scientifiques pratiqués récemment sur les matériaux employés par les artistes. Où l’on explique par exemple la mystérieuse couleur brune d’un citron... qui ne doit rien à une quelconque audace mais au mauvais vieillissement d’un pigment.
- KISHO KUROKAWA, ARCHITECTE, jusqu’au 14 novembre, et THEO VAN GOGH (1857-1891), MARCHAND D’ART, COLLECTIONNEUR ET FRÈRE DE VINCENT, jusqu’au 5 septembre, Musée Van Gogh, 7 Paulus Potterstraat, Amsterdam, tél. 31 20 570 52 00. Catalogue, 230 p., 55 ou 75 florins. Puis, 30 septembre-9 janvier, Musée d’Orsay, Paris. - LA NATURE MORTE AUX PAYS-BAS 1550-1720, jusqu’au 19 septembre, Rijksmuseum, aile Sud, 19 Hobbemastraat, Amsterdam, tél. 31 20 674 70 00, tlj 10h-19h. Catalogue, 320 p., 65 ou 85 florins. Puis, 31 octobre-9 janvier, Cleveland Museum of Art. - VUES MOBILES, jusqu’au 15 août, et LA CÉRAMIQUE AU XXe SIÈCLE, 3 juillet-12 septembre, Stedelijk Museum, 13 Paulus Potterstraat, Amsterdam, tél. 31 20 573 29 11, tlj 10h-18h. - TRÉSORS DE MONGOLIE, jusqu’au 17 octobre, De Nieuwe Kerk, Dam, Amsterdam, tlj 10h-18h.
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Van Gogh gagne une aile
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°86 du 2 juillet 1999, avec le titre suivant : Van Gogh gagne une aile