Dans une situation financière précaire, la veuve de Nicolas Schöffer est menacée d’expulsion, et l’atelier de son mari voué à la dispersion. Se refusant à vendre des œuvres sous-cotées pour conserver son patrimoine, Éléonore Schöffer compte sur un soutien des pouvoirs publics afin de garder la mémoire d’un artiste honoré et reconnu, pionnier du cybernétisme.
PARIS - Lorsqu’en 1964 Nicolas Schöffer (1912-1992) s’installe dans son atelier de la Villa des Arts dans le 18e arrondissement de Paris, il rénove totalement les lieux, les adaptant aux ambitions de son travail. Plus de dix ans après sa mort, l’endroit continue d’abriter son œuvre : Cysp I (1956), sa première construction cybernétique élaborée en collaboration avec Philips et qui “dansa” dans les ballets de Béjart, ou Prisme (1965), vaste installation spéculaire permettant de créer une rosace virtuelle et animée, sont quelques-unes des composantes d’un ensemble unique aujourd’hui menacé de dispersion. Sa veuve Éléonore Schöffer, occupée à entretenir la mémoire de son mari par la multiplication des conférences et l’accueil des chercheurs, est sous la menace d’une expulsion. À soixante-seize ans, l’épouse de Schöffer n’a plus les moyens de régler un loyer trimestriel de 7 500 euros. Les œuvres qu’elle conserve dans une optique scientifique et pédagogique sont promises à la vente judiciaire. Hypothèse embarrassante pour un artiste qui, champion des années Pompidou, fut honoré et décoré à maintes reprises par l’État français.
D’abord peintre dans une veine surréaliste, puis abstraite, Nicolas Schöffer franchit une étape en 1949 avec sa Sculpture spatio-dynamique, générant de nouvelles relations entre art et science. Le mouvement, la lumière et le temps figurent parmi les motifs essentiels de ses sculptures et environnements. Pionnier, Schöffer anime ses constructions à l’aide de mécanismes programmés, anticipant nombre de recherches à venir dans les domaines de l’infographie et de l’interactivité. Sans exclusive, il touche à tout, approchant aussi bien la musique, le cinéma que l’urbanisme. Un de ces projets les plus ambitieux était une gigantesque tour de 347 mètres de haut pour la Défense. Habitable, le bâtiment imaginé en 1963 devait refléter par sa lumière et ses couleurs les humeurs de la ville.
Paradoxe de l’histoire, l’œuvre de Schöffer est aujourd’hui sous-cotée, et le prix atteint par ces sculptures en vente publique est inférieur à leur stricte valeur matérielle. Dès lors, son épouse se refuse à brader ses biens pour continuer à entretenir son patrimoine. “Pour un artiste, la cote est un peu comme un pot dans lequel il doit rentrer. Plus sa cote est élevée, plus le pot est grand. Le problème c’est que l’œuvre de mon mari est un baobab”, s’amuse avec amertume Éléonore Schöffer. Alors qu’à la fin du mois de mars la Mairie de Paris doit réinstaller Chronos X dans le jardin de sculptures des quais de la Seine, la veuve de l’artiste compte sur un soutien des pouvoirs publics, municipalité ou État. “Il est évident que les artistes passent parfois un certain temps au purgatoire, mais, à un moment, il faut qu’ils en sortent”, poursuit-elle. Tandis que Liège entreprend la restauration de La Tour spatiodynamique et cybernétique, érigée en 1961 et depuis classée, et que des expositions monographiques consacrées à Schöffer se profilent en France, il est urgent que cette sortie se fasse vite pour éviter des regrets trop tardifs...
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Une utopie en voie de dispersion
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°166 du 7 mars 2003, avec le titre suivant : Une utopie en voie de dispersion