Alors que la guerre sévit au Moyen-Orient, la « Maison de la famille abrahamique » sanctuarise la tolérance religieuse dans un lieu unique consacré au judaïsme, au christianisme et à l’islam.
Abou Dhabi (Émirats arabes unis). Consacré aux trois religions abrahamiques, la « Maison de la famille abrahamique » est située sur l’île de Saadiyat, non loin du Louvre Abu Dhabi. Ouvert gratuitement en journée au public, le complexe interconfessionnel accueille les fidèles des trois religions aux heures de prière.
Conçu et construit en à peine quatre ans, le site a une résonance internationale déjà notable. Inauguré le 16 février 2023, l’édifice a été dessiné par l’architecte ghanéen-britannique David Adjaye, également concepteur du National Museum of African American History and Culture à Washington. La visite du pape François à Dubaï en février 2019 avait donné un élan décisif au projet. Lors de son séjour, ce dernier a en effet cosigné avec le cheikh Ahmed al-Tayeb, imam de la mosquée d’al-Azhar en Égypte, le « Document sur la fraternité humaine pour la paix dans le monde et la coexistence commune », qui en a posé les fondations intellectuelles.
Le projet précède donc les accords d’Abraham signés le 15 septembre 2020, qui ont normalisé les relations diplomatiques entre Israël, les Émirats arabes unis et Bahreïn. Il s’inscrit toutefois dans le cadre d’une politique de promotion du dialogue interreligieux conduite par le ministère de la Tolérance et de la Coexistence depuis sa création en 2016. Le Louvre Abu Dhabi emboîte le pas avec « Lettres de lumière » (jusqu’au 14 janvier 2024), exposition centrée sur les Livres saints des trois religions abrahamiques sous le commissariat de Laurent Héricher. Organisée en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France, elle présente des manuscrits anciens de la Bible hébraïque (Tanakh), de la Bible chrétienne (Ancien et Nouveau Testaments) et du Coran, tout en explorant l’émergence des textes sacrés et leur dissémination dans différentes langues et cultures. Cette exposition trouve un ancrage complémentaire dans les galeries permanentes du musée, en particulier celle dévolue aux « religions universelles » dont la muséographie instaure un dialogue thématique entre les religions. À sa manière, Michelangelo Pistoletto ajoute à l’édifice : « Judgement Time » (jusqu’au 7 janvier 2024), sa nouvelle exposition à la Galleria Continua de Dubaï, met en scène des objets de culte des quatre principales religions monothéistes qui se reflètent les uns dans les autres grâce aux miroirs qui leur font face. Lors d’une conférence organisée au Louvre Abu Dhabi, l’artiste italien nonagénaire est revenu sur l’importance à ses yeux de la notion de « paix préventive » (en opposition à celle, dangereuse, de « guerre préventive »).
La guerre Israël-Hamas et son onde de choc dans le reste du monde rendent la visite de ce lieu particulièrement intense émotionnellement. Malgré sa récente construction, la Maison de la famille abrahamique parvient à dégager une atmosphère à la fois solennelle et animique. Cette réussite architecturale doit être appréciée à l’aune des défis de sa mission : unifier respectueusement les trois religions sans les assimiler. Cela a été pris en compte dès l’orientation des trois lieux de culte : vers Jérusalem pour la synagogue, à l’est pour l’église, et en direction de La Mecque (qibla) pour la mosquée. La conception minimaliste de David Adjaye se matérialise à travers trois bâtiments de taille et de volume identiques, mesurant chacun 30 mètres sur 30. Ce schéma tripartite supprime toute hiérarchie, tandis que les inscriptions sont systématiquement présentées en arabe, en anglais et en hébreu. L’absence de couleurs vives, l’utilisation de matériaux communs tels que le bois, la roche et le bronze, ainsi que l’intégration d’éléments comme la lumière et l’eau, contribuent à l’harmonie générale, enrichie par un jardin ouvert et partagé à l’étage supérieur. La forme angulaire et la teinte en pierre, reprises du tombeau des Patriarches à Hébron (lieu saint pour les trois religions abrahamiques), ancrent l’édifice dans l’Antiquité, même si aucune référence n’y est faite sur place. Les choix opérés dans la structure et les aménagements intérieurs présentent des nuances subtiles, fidèlement reflétées dans le logo du lieu.
La synagogue Moïse-Maïmonide se distingue par ses piliers extérieurs en forme de zigzag et son rideau en mailles de bronze, suspendu telle une tente dans la partie supérieure de l’édifice, en référence à la soukka [cabane]. Outre la construction d’un mikvé [bain rituel], la modularité de l’aménagement de la synagogue s’adapte aux congrégations aussi bien séfarades qu’ashkénazes.
L’église Saint-François-d’Assise se démarque par la présentation de fines colonnades à l’extérieur ainsi que par l’imposante « pluie » de lattes de bois tombant verticalement en son chœur pour former une structure triangulaire. Outre ce symbole d’élévation, le crucifix qui flotte au-dessus de l’autel tend à rappeler le Christ en croix (1950) de Germaine Richier qui fusionne pareillement le corps de Jésus avec la croix pour traduire le mystère de l’Incarnation.
Quant à la mosquée Ahmed al-Tayeb, les formes courbes et arabesques y prédominent. L’absence de minarets et d’ornement floraux laisse la place à une structure curviligne à l’intérieur comme à l’extérieur, dans une surprenante familiarité avec l’architecture de la Sagrada Família à Barcelone. Les quatre façades sont couvertes à l’intérieur de moucharabiehs disposés sur toute la hauteur qui tamisent la lumière sur le sol tapissé d’un blanc cassé. Des cloisons amovibles permettent de séparer hommes et femmes pendant les heures de prière, séparation reprise par la création de deux zones d’ablution de part et d’autre de la mosquée. Le Mihrab [niche pratiquée dans la muraille pour indiquer la qibla] est très épuré, tout comme le minbar [escabeau servant de chaire] qui semble flotter au-dessus du sol.
Le coût total de la construction de l’édifice demeure confidentiel, comme souvent dans les pays du Golfe. L’originalité du lieu le classe désormais parmi les sites touristiques incontournables d’Abou Dhabi. Cette vocation a été anticipée grâce à l’intégration d’un espace d’exposition multimédia, d’un programme d’activités culturelles et éducatives, d’un lieu de restauration et d’un magasin proposant des objets de design à l’effigie du complexe interconfessionnel.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Une synagogue, une église et une mosquée réunies à deux pas du Louvre Abu Dhabi
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°623 du 15 décembre 2023, avec le titre suivant : Une synagogue, une église et une mosquée réunies à deux pas du Louvre Abu Dhabi