Une rencontre auteur-illustrateur

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 4 octobre 2007 - 745 mots

Associant le texte à l’image, les livres illustrés jouissent d’un pouvoir visuel qui en fait l’un des domaines les plus appréciés des bibliophiles Lorsque le courant passe...

Sous l’impulsion de galeristes entrepreneurs comme Ambroise Vollard, Daniel-Henry Kahnweiler et Jeanne-Bucher, ou d’éditeurs éclairés à l’image de Tériade, Iliazd et Albert Skira, certaines publications ont fait date dans l’histoire du livre. La révolution menée par ces pionniers ne fut pas du goût de tous les écrivains. Ainsi Paul Claudel écrivait-il en 1910 : « L’écrivain pauvre, qui, par miracle, aura trouvé un éditeur n’aura même plus droit à l’honnêteté de sa misère ; sa pensée, fût-ce dans les draps les plus grossiers, n’aura plus le droit de rester seule. Il faut qu’on le costume pour le trottoir et qu’il subisse la compagnie déshonorante de l’illustrateur » !

Une relation fusionnelle
De leur côté, les peintres n’auront pas abordé le livre avec un bonheur égal. « Il faut une contemporanéité entre l’auteur et l’illustrateur, que le livre soit représentatif d’une période, indique le libraire Bertrand Meaudre. La réussite d’un livre, c’est deux copains qui se rencontrent, s’apprécient et font une route ensemble. Les beaux livres sont souvent nés de projets modestes et amicaux. » Un point de vue qui sied parfaitement à La Barre d’Appui (1936) de Paul Éluard, doté de trois eaux-fortes de Picasso. « Ce livre a tout pour plaire aujourd’hui, opine Thomas Bompard, spécialiste de Sotheby’s. Picasso et Éluard sont les meilleurs amis du monde. Le papier mal dégrossi a cinquante ans d’avance sur ce que les gens recherchent actuellement. Le format est très humble. » Dans la vente Julien Bogousslavsky en mai 2006 chez Christie’s, un exemplaire s’est adjugé pour 93 600 euros. Quelques mois plus tard, un autre spécimen, portant un envoi d’Éluard à René Char, décrochait 105 600 euros chez Sotheby’s. Bien que l’alchimie entre un auteur et un peintre d’une même génération reste une expérience singulière, une certaine osmose peut aussi naître avec un siècle d’écart. On le constate avec le Chef-d’œuvre inconnu de Balzac, illustré par Picasso. Le génie andalou sut mieux que quiconque restituer le drame de la création du personnage principal de l’histoire, Frenhofer. Cet ouvrage reste apprécié, au point qu’un exemplaire s’est même envolé pour 610 750 euros en 2002 chez Sotheby’s.
Le livre illustré n’échappe pas aux sismogrammes de la mode. L’Enchanteur pourrissant, premier livre de Kahnweiler, réunissant Derain et Apollinaire, en est la preuve. Bien qu’un exemplaire ait atteint 74 400 euros dans la vente Fred Feinsilber, chez Sotheby’s en 2006, ce livre élégant, dont les bois gravés ne sont pas sans rappeler l’empreinte de Gauguin, reste un peu triste. Un même sentiment se dégage de Parallèlement, associant en 1900 Verlaine et Bonnard. « Pendant longtemps, Parallèlement fut considéré comme le plus beau livre de peintre. Actuellement, il est un peu démodé, observe Thomas Bompard. Les gens aiment qu’il y ait de l’électricité comme dans un tableau, et ils trouvent que là ça en manque. »

Déclic électrique
De l’électricité, on en trouve dans le feu d’artifices de couleurs de Jazz (1947) de Matisse. Idem pour le manifeste des mouvements Cobra et pop art, 1c life. Conjuguant le talent de nombreux artistes comme Pierre Alechinksy ou Andy Warhol, à la poésie de Walasse Ting, ce livre fut édité en 1964. On le trouve autour de 35 000 euros en librairie, mais il peut prétendre à 80 000 à 120 000 euros s’il est gainé d’une reliure de Georges Leroux. « Une reliure, soit ça casse un ouvrage, soit ça le sublime, souligne Bertrand Meaudre. Dans ce cas, on peut payer quatre à cinq fois le prix habituel d’un livre. » En revanche, Jazz, négocié entre 250 000 et 300 000 euros broché, tolère mal la reliure qui peut rogner les pochoirs venant mordre sur la tranche. Une autre raison explique la préférence pour un état broché : certains marchands indélicats le cassent pour vendre les planches séparément comme des estampes… Car dans un livre de peintre, l’impact visuel prime sur le texte. « Les gens viennent aux livres illustrés à travers le peintre et non l’auteur, affirme Bertrand Meaudre. Tout ce qui relève de l’image est international. C’est du coup ce qui se vend le mieux dans le milieu bibliophile actuel. » D’où le succès de la collection pourtant très hétéroclite de Fred Feinsilber chez Sotheby’s en 2006. Le marché du livre illustré ne s’aligne pas pour autant sur la flambée des prix de l’art moderne. « L’acheteur qui s’excitera sur un tableau de Picasso à 80 millions de dollars n’est pas celui qui achètera le Chef-d’œuvre Inconnu, observe Thomas Bompard. Pour 600 000 euros, il préfèrera un Picasso qui s’accroche au mur. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : Une rencontre auteur-illustrateur

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