La princesse Léonie, héritière des Saxe-Weimar-Eisenach, âgée de douze ans, revendique la propriété d’œuvres d’art évaluées à 4,6 milliards de francs qui auraient été confisquées à ses aïeuls par le régime communiste après la Seconde Guerre mondiale. La plupart d’entre elles sont aujourd’hui exposées dans des institutions de Weimar. Sans elles, la ville n’aurait sans doute pas été élue « Capitale culturelle de l’Europe » cette année.
LONDRES (de notre correspondant) - Alors que Weimar devient la capitale culturelle de l’Europe, une jeune princesse âgée de douze ans demande en justice la restitution d’une grande partie des trésors culturels de la ville. La princesse Léonie, héritière des Saxe-Weimar-Eisenach, s’efforce ainsi de recouvrer la propriété d’œuvres d’art confisquées par le régime communiste après la Seconde Guerre mondiale. Le litige mettant en cause les biens de la famille serait encore plus ancien. Il remonterait à l’abdication du grand-duc Guillaume Ernest, en novembre 1918, concomitante à celle de Guillaume II. En 1921, l’État avait pris le contrôle de la plupart des terres appartenant à la famille. Le grand-duc avait pu conserver la propriété des œuvres d’art à la condition d’exposer au public les plus importantes d’entre elles. En 1945, la ville de Weimar a été occupée par les troupes américaines puis par l’Armée rouge et, en 1948, les autorités soviétiques ont exproprié tous les biens des familles régnantes. L’héritier du grand-duc, Carl-August, décédé en 1988 en Allemagne de l’Ouest, a légué ses biens à sa petite-fille, la princesse Léonie alors âgée d’un an, faisant de son fils, le prince Michael Benedict, son exécuteur testamentaire.
Les archives Goethe-Schiller
La réclamation des Saxe-Weimar-Eisenach a été déposée peu de temps après l’entrée en vigueur de la loi de restitution de septembre 1994, qui visait à dédommager les familles expropriées dans la zone soviétique entre 1945 et 1949. En vertu de ces textes, les objets d’art exposés dans des musées resteront accessibles au public pendant vingt ans, jusqu’en 2014. Après cette date, de nouveaux arrangements devraient être trouvés pour proroger ces prêts en dédommageant la famille.
Une décision préliminaire portant sur la réclamation de la princesse Léonie avait été rendue en avril 1998 par le Landesamt zur Regelung offener Vermögensfragen, l’administration chargée de la restitution des biens expropriés pendant la dernière guerre. La princesse devait ainsi être reconnue propriétaire des archives Goethe-Schiller. Mais, le 3 novembre, un arrêté ministériel du Land de Thuringe a fait marche arrière, arguant du fait qu’en décembre 1946, la duchesse Feodora, veuve de Guillaume Ernest, avait signé un accord avec le gouvernement de la zone soviétique afin de transmettre la propriété des archives Goethe-Schiller à une œuvre charitable. Un porte-parole du gouvernement de Thuringe a confié à notre partenaire éditorial The Art Newspaper “que les archives Goethe-Schiller étaient considérées comme des biens d’intérêt collectif protégés et accessibles aux chercheurs”. Cet arrêté est contesté sous plusieurs chefs par les avocats de la princesse.
L’enjeu est considérable car, outre les archives littéraires, la demande porte sur plusieurs tableaux de maîtres anciens, incluant des Dürer et des Cranach, et sur des antiquités. Bien qu’elle soit difficile à évaluer, la collection dans son ensemble est estimée à plus de 4,6 milliards de francs. Les archives Goethe-Schiller, riches de 600 000 documents, seraient évaluées au moins à 600 millions de deutschemarks (plus de 2 milliards de francs), tandis que la valeur totale des peintures serait comprise entre 300 et 450 millions de deutschemarks (1-1,5 milliard de francs). En l’absence de ces trésors, il n’est pas certain que Weimar eût été élue “Capitale culturelle de l’Europe”. Les œuvres d’art réclamées par la princesse Léonie sont aujourd’hui entre les mains de deux institutions : les meubles, céramiques, arts décoratifs et les archives Goethe-Schiller sont conservées par la Stiftung Weimarer Klassik, une fondation créée en 1991 et financée à 50 % par le gouvernement fédéral, à 40 % par le Land de Thuringe, et à 10 % par la Ville de Weimar ; les peintures, exposées dans le Stadtschloss (château), sont détenues par la Collection d’art de Weimar constituée en 1922.
Une bataille juridique
Il s’avère aujourd’hui difficile de déterminer – notamment pour les peintures – quelles toiles ont été expropriées entre 1945 et 1949. Le prince Michael Benedict, aujourd’hui chef de la famille Saxe-Weimar-Eisenach, revendique la plupart des œuvres exposées dans le Stadtschloss, ce à quoi s’oppose Rolf Bothe, directeur de la Collection. Ce dernier a affirmé à The Art Newspaper que certains tableaux ont été donnés par les Saxe-Weimar-Eisenach en 1870 ou dans les années ultérieures, et que d’autres œuvres auraient été achetées, données ou transférées à Weimar durant la période communiste. Il prétend que les seules peintures expropriées entre 1945 et 1949 seraient un Cranach – Allégorie de la loi et de la pitié –, trois portraits de Tischbein, ainsi qu’un ensemble comprenant vingt autres tableaux importants et trente œuvres mineures.
Les 30 000 œuvres d’art conservées au Stadtschloss et par la Stiftung Weimarer Klassik devraient être restituées à la famille lorsqu’un accord aura été trouvé. Des élections régionales devraient se dérouler dans le Land de Thuringe en septembre prochain. Si un accord n’est pas obtenu d’ici là, le conflit pourrait s’éterniser pendant de longs mois, voire de longues années.
Les œuvres les plus importantes revendiquées par la princesse Léonie sont actuellement exposées à Weimar dans cinq sites historiques : - Le Stadtschloss, construit en 1439 et restauré en 1664 et 1803, réunit plus d’une douzaine d’œuvres de Lucas Cranach l’Ancien, qui vécut et mourut à Weimar, deux portraits de Dürer représentant Hans et Felecitas Tücher, des toiles de Baldung, Tintoret, Rubens, Tischbein et Friedrich, mais aussi 15 000 dessins et 50 000 estampes. - Le Wittumspalais (palais de la Veuve), qui date de 1769, renferme des meubles baroques et des peintures, ainsi qu’un musée consacré au philosophe humaniste Christoph Wieland (1733-1813). - Le Tiefurt Palace, résidence d’été reconstruite en 1775, contient de beaux meubles. - Le Belvedere Palace, un pavillon de chasse construit en 1732, est aujourd’hui un musée du Rococo qui rassemble des peintures XVIIIe. - Les archives Goethe-Schiller, riches de 600 000 documents, sont conservées dans un bâtiment de 1896.
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Une princesse allemande en guerre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°75 du 22 janvier 1999, avec le titre suivant : Une princesse allemande en guerre