Une place exemplaire

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 21 janvier 2005 - 752 mots

Au XVIIIe siècle, les villes françaises se dotent de larges places qui permettent de dégager des perspectives. Elles constituent l’écrin rêvé pour une statue royale. La place Stanislas en est le parangon.

La place Stanislas de Nancy fut un modèle d’aménagement pour de nombreuses villes européennes. Sa restauration sera l’occasion pour le Musée des beaux-arts de Nancy de présenter, à partir de mai, une grande exposition pluridisciplinaire consacrée à l’urbanisme naissant du XVIIIe siècle. Plans, estampes, maquettes, sculptures, dessins et peintures permettront ainsi de brosser un portrait de la ville européenne du Siècle des lumières.
Construite à l’initiative de Stanislas en l’honneur de son gendre Louis XV, la place royale de Nancy (1752-1755) deviendra le symbole de la réussite de l’urbanisme du XVIIIe siècle, capable de régulariser et de “monumentaliser” la ville, mais aussi de glorifier l’image du roi. Emmanuel Héré de Corny (1705-1763), l’architecte nancéien de Stanislas, ne faisait pourtant que perpétuer un mode d’aménagement urbain né au XVIIe siècle : la place royale, que les intendants de Louis XIV puis de Louis XV s’étaient attachés à promouvoir dans les provinces, sur l’exemple du modèle parisien de la place Louis-le-Grand (actuelle place Vendôme). L’ouverture d’une place, souvent dirigée par un architecte du roi dépêché de Paris, permettait de dégager des perspectives mais aussi de reconstruire un quartier d’après un ordonnancement rigoureux, constituant l’écrin d’une statue royale, équestre ou pédestre. Un modèle d’architecture absolutiste était né.

Projets d’embellissement
À Nancy, la réussite d’Héré fut d’inscrire sa réalisation à la jonction de la vieille ville et de la ville neuve, dans la continuité des places du Gouvernement et de la Carrière – percées à l’initiative du prédécesseur de Stanislas –, offrant ainsi à la ville une nouvelle composition urbaine. L’idée était dans l’air du temps. Si le terme « urbanisme » n’apparaitra qu’au siècle suivant, les Lumières permettent l’élaboration de nouvelles valeurs attachées à la ville. « Le changement d’esprit est alors très fort, précise Pierre Rosenberg, commissaire général de la manifestation. La ville appartient désormais aux préoccupations et toutes les capitales s’interrogent sur les problèmes de salubrité et de sécurité, mais aussi sur la question de l’embellissement. » Ouverte depuis la destruction des fortifications au cours du siècle précédent, la ville doit désormais s’organiser de manière fonctionnelle. Le plan est ainsi conçu comme un outil de réflexion, à partir duquel architectes et ingénieurs émettent leurs propositions pour le percement de rues, l’aménagement de quais, voire la reprise du tracé d’un cours d’eau, ou le dégagement des monuments représentatifs du pouvoir – palais, hôtel de ville ou église. Le goût est à la ligne droite et à la symétrie, à l’ordonnancement tracé au cordeau et aux perspectives ménageant des points de vue. À Paris, les ponts habités, qui bloquaient la vue sur la Seine, sont détruits sous l’œil du peintre Hubert Robert, qui réalisera plusieurs toiles sur ce thème. Ailleurs, on fustige l’absence de plan ordonnateur : « Nombreux sont les témoignages de voyageurs arrivant à Florence qui déplorent l’absence d’unité de la ville ! », confirme Pierre Rosenberg. Les malheurs qui frappent les agglomérations – épidémies ou incendies – alimentent le développement de thèses hygiénistes, alors que sous la plume des pamphlétaires, dont l’acerbe Voltaire, la ville est décrite comme un lieu de dépravation des mœurs, qu’il faut impérativement moderniser.
En France, rares sont toutefois les projets d’embellissement qui verront le jour avant le XIXe siècle. D’autres capitales saisiront l’occasion d’un drame pour se rebâtir, telle Lisbonne, où une partie de la ville est mise à bas par le terrible tremblement de terre de 1755. Mais la construction de villes nouvelles à Karlsruhe (Allemagne), Saint-Pétersbourg ou Bath (Angleterre) procureront aux architectes des Lumières l’opportunité de bâtir cette ville moderne, fonctionnelle et monumentale, entièrement dédiée à la gloire du prince.

Un prolongement contemporain

Conçue comme un contrepoint à ces réflexions sur l’urbanisme des Lumières, l’exposition « Avenirs de ville » propose de s’interroger sur l’acuité de ces questions urbaines dans la ville contemporaine et future. C’est sur le site des friches industrielles d’Alstom que seront présentés les travaux des architectes et des artistes sollicités par Jean-Louis Maubant, commissaire de cette exposition. Parmi ceux-ci figurent Tobias Bernstrup, Daniel Buren, Jordi Colomer, Didier Fiuza Faustino, Yona Friedman, Bodys Isek Kingelez, Rem Koolhaas, Claude Parent ou Yi Zhou. Ils livreront leur vision personnelle de l’avenir urbain, à l’heure de l’explosion du phénomène et de la généralisation des nouvelles technologies. « Avenirs de ville », du 7 mai au 21 août, Friche Alstom, rue Oberlin, Nancy, tlj sauf mardi 10h-18h.

DE L’ESPRIT DES VILLES. NANCY ET L’EUROPE URBAINE AU SIÈCLE DES LUMIÈRES, 1720-1770

Du 7 mai au 21 août, Musée des beaux-arts, 3, place Stanislas, Nancy, tél. 03 83 85 30 72, tlj sauf mardi, 10h-18h. Catalogue sous la direction de Jean-Marie Pérouse et Daniel Roche, 400 p., éditions Artlys. Colloque international sous la direction de Daniel Rabreau du 23 au 26 juin, au Musée des beaux-arts.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°207 du 21 janvier 2005, avec le titre suivant : Une place exemplaire

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