Une affaire de faux Man Ray secoue le marché de la photographie. Le photographe et collectionneur Werner Bokelberg déclare avoir acheté, pour 10 millions de francs, 61 images vendues comme des « vintages » des années vingt et trente, qui, après des expertises de papier, se sont révélées être des tirages de 1992-1993, donc réalisés bien après la mort de Man Ray en 1976. L’avocat de la victime, Me Jean-Marie Degueldre, affirme avoir porté plainte contre X. L’affaire, digne d’un roman policier, est singulièrement compliquée ; certains protagonistes tiennent des propos contradictoires, les images contestées auraient disparu. Et la question essentielle reste posée : qui est l’auteur des tirages ?
PARIS - Photographe habitant Hambourg et Paris, Werner Bokelberg est également l’un des collectionneurs les plus connus du monde de la photographie. Sa collection, allant du XIXe à 1940, a été exposée au Kunsthaus de Zurich en 1989. Mais celle-ci est loin d’être immuable, car Bokelberg achète et revend pour “affiner son ensemble” – d’autres disent par spéculation. Il a ainsi cédé une partie de ses daguerréotypes au Getty Museum. Le 16 novembre 1983, de “précieuses photographies de Man Ray” sont annoncées dans une vente à Drouot. “Tout le monde s’est laissé fasciner par la qualité des images”, confie aujourd’hui Bokelberg. Il en achète deux, La Prière et Transatlantic. Pendant onze ans, rien ne se passe. Le 15 octobre 1994, Bokelberg reçoit une télécopie d’un certain Benjamin Walter, qui lui affirme avoir eu connaissance de son nom par l’hôtel des ventes. Il lui propose de lui vendre une œuvre de Duchamp que Bokelberg refuse dans un premier temps.
Nouveau rendez-vous au Café de Flore. Là, Walter propose quatre tirages d’époque (vintages) – “magnifiques” – des images les plus connues de Man Ray : Violon d’Ingres, La Tonsure, Kiki à la plage, James Joyce. Walter lui assure que ces images proviennent de son père Lucien, devenu ami de Man Ray après avoir facilité son installation en France . “Je savais bien que des épreuves de Man Ray étaient difficile à trouver”, reconnaît le collectionneur. Néanmoins, il les achète pour 500 à 600 000 francs, payés cash selon lui, après un scénario rocambolesque qui se renouvellera plusieurs fois. Au total, la victime dit avoir acquis 61 images, payées 10 millions de francs. “Walter faisait toujours l’aller-retour Paris Hambourg dans la journée. Il arrivait à 13h et reprenait l’avion à 16h. Entre-temps, il me remettait les tirages et nous allions à ma banque”. En dépit de cet étrange manège, Bokelberg est rassuré par des certificats qu’établit à Benjamin Walter l’expert de la vente de Drouot de 1983, Gérard Lévy. L’un affirme : “Je connais ces photographies appartenant à M. Walter, dont le père, collectionneur, était un ami de Man Ray”. Aujourd’hui, Gérard Lévy, qui ne récuse pas ces certificats, “demande qu’on lui remontre les images qu’il a expertisées”, en sous-entendant que celles achetées par Bokelberg sont autres.
Un papier commercialisé entre 1992 et 1993
Werner Bokelberg a de premiers doutes en 1995. “Je demande à Walter des tirages qui ne sont pas disponibles, comme le Portrait de Duchamp ; il m’affirme qu’il les possède”. Il montre des épreuves à Maria Morris Hombourg, directrice du département Photographie du Metropolitan Museum, qui prépare une exposition Man Ray – certains disent pour les lui vendre. Après avoir été séduite par les images, elle s’inquiète de leur provenance, examine de plus près les tirages et exprime des doutes sur le papier Agfa utilisé. Bokelberg décide d’en avoir le cœur net ; il envoie des tirages chez Agfa à Leverkusen. En février 1997, le diagnostic est impitoyable : le papier utilisé, une édition “nostalgia”, a été commercialisé entre 1992 et 1993. La victime reprend contact avec le vendeur et, le même mois, Bokelberg et Walter signent un accord où le premier remet les tirages contestés au second, qui reverse 5 250 000 francs au premier, et Bokelberg “renonce à toute instance et action contre Monsieur Walter”.
Aujourd’hui, les événements se précipitent. L’avocat de l’acheteur affirme avoir porté plainte. Les images auraient été brûlées par la compagne de Walter, Hélène Béguier, veuve de Serge Béguier, le dernier tireur de Man Ray, mais Bokelberg dit en posséder encore seize… Qui a pu réaliser de telles images, bluffant un photographe-collectionneur ? À partir de quel matériel ? En existe-t-il d’autres dans des collections privées ou publiques ? Le feuilleton est sur la place publique et va faire une publicité à double-tranchant à l’exposition Man Ray qui sera inaugurée le 28 avril au Grand Palais.
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Une nouvelle affaire de faux Man Ray
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°58 du 10 avril 1998, avec le titre suivant : Une nouvelle affaire de faux Man Ray