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PLACEMENTS FINANCIERS

Une nouvelle affaire dans le marché des manuscrits

Artecosa, dans le sillage d’Aristophil

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 31 octobre 2017 - 1425 mots

Mêmes dirigeants, mêmes procédés abusifs, Artecosa affiche des traits de famille identiques à ceux de la société de ventes de lettres et manuscrits qui a défrayé la chronique. Une centaine de clients ont fait appel à une association de défense.

Après l’affaire Aristophil, le marché des lettres autographes et manuscrits se trouve encore une fois dans la tourmente.
Après l’affaire Aristophil, le marché des lettres autographes et manuscrits se trouve encore une fois dans la tourmente.
© Thinkstock

En août 2015, la société Aristophil était mise en liquidation judiciaire deux ans après la mise en examen pour escroquerie en bande organisée et blanchiment pour fraude fiscale de son fondateur, Gérard Lhéritier. Était en cause, la vente de près de 130 000 lettres et manuscrits de personnages illustres, dont 80 % ont été acquis en indivision et à prix d’or avec une promesse de plus-value jamais honorée. Le nombre de victimes s’élèverait à 35 000, pour un préjudice qui avoisinerait le milliard d’euros.

Aristophil aurait-elle essaimé ? C’est ce que pense Guy Grandgirard, responsable juridique de l’Association de défense des consommateurs de Lorraine (ADC54), intervenant sur le dossier Aristophil depuis mars 2015 (l’association gère 800 dossiers s’y rattachant) pointant la société Artecosa, (dont le nom commercial est Signatures) – une sorte de « cousine » d’Aristophil. Cette société propose en partie les mêmes produits – des lettres, des autographes et des manuscrits, mais également des photographies – et a globalement calqué son fonctionnement sur celui d’Aristophil, qui elle-même fonctionne sur un montage financier frauduleux consistant à rémunérer les intérêts des clients avec les apports en capitaux des nouveaux entrants. Artecosa a été créée en octobre 2008, quatre ans avant que l’Autorité des marchés financiers commence à s’intéresser à Aristophil.

Des promesses de rendement illusoires
Fait troublant, Luc Mazet, le président d’Artecosa, est l’ancien directeur général d’Aristophil, tandis que le directeur des achats, Philippe Fontana, occupait le même poste chez Aristophil. Par ailleurs, le contrat proposé aux clients est exactement le même que celui d’Aristophil, à la seule différence que les clients achètent les manuscrits en pleine propriété et pas en indivision. Le dispositif est identique, du moins concernant la première des deux formules proposées aux clients : un contrat d’une durée de cinq ans avec 7 % d’intérêts par an. Au terme des cinq ans, la société bénéficiait d’une option de rachat. Or le prix de vente augmenté des intérêts cumulés ne pouvait être touché que si la société acceptait de racheter le contrat, ce qu’elle n’était pas obligée de faire. La deuxième formule proposait de percevoir des intérêts une fois par an au taux de 6,5 %. Du moins en apparence, car dans la réalité, le montage financier était tout autre. Parmi les lots achetés, se trouvaient systématiquement quatre œuvres – en sus d’au minimum trois œuvres – dont la valeur correspondait comme par hasard à la valeur exacte des intérêts. Quand le co-contractant touchait le chèque de ses pseudos intérêts, il recevait automatiquement une lettre à signer de la part de ladite société, lui indiquant qu’il vendait une œuvre, dont le prix équivalait à la virgule près aux intérêts. « Fin 2010, mon père a été démarché par un courtier. Pour lui, il s’agissait d’un placement financier. Il a en tout acheté sept œuvres d’une valeur totale de 50 000 euros en souscrivant un contrat de cinq ans à 6 %. Le courtier venait tous les ans lui faire un chèque qui, bizarrement, correspondait très exactement au montant d’une œuvre qu’il lui avait vendu. En 2015, le contrat arrivant à échéance, mon père a souhaité récupérer son capital, mais n’a finalement jamais obtenu le remboursement de son investissement de départ. Nous avons découvert alors que les intérêts étaient payés en revendant le capital », raconte une des victimes qui a souhaité garder l’anonymat.

En janvier 2016, l’association ADC est approchée par un premier client d’Artecosa, souhaitant récupérer son capital et ses intérêts. « Puis d’autres nous ont contactés (en tout, une centaine) et par suite de toutes nos découvertes, nous avons déposé une plainte en décembre 2016 devant le procureur de la République », explique le responsable juridique. Une enquête préliminaire est en cours, menée en parallèle par la brigade financière et la répression des fraudes. « Nous avons décidé de porter plainte au pénal non pas pour escroquerie, mais pour pratiques commerciales trompeuses (délit puni d’emprisonnement). La répression des fraudes peut alors être saisie de l’enquête par le ministère Public et enquêter sur cette infraction », précise Me Arnaud Delomel, avocat de l’ADC, avant d’ajouter : « pour l’instant, nous n’avons pas de retour, mais la logique voudrait que la répression des fraudes qui nous a entendus au printemps 2017 demande au parquet d’ouvrir une instruction ». À cette étape, personne n’a accès au dossier. « Quand un juge d’instruction aura été nommé, nous nous constituerons partie civile et nous y aurons accès », précise-t-il. Si de 2008 à 2015 Artecosa a racheté les contrats et versé les « intérêts », à partir de janvier 2016, la société – en difficulté de trésorerie – ne l’a plus fait, proposant en échange aux clients de vendre leurs œuvres par le biais de FL Auction (1), une maison de ventes créée par Luc Mazet. « Mais bien sûr, à un prix inférieur de 40 à 60 % au prix payé, somme à laquelle s’ajoutent les 10 % de frais vendeur », précise Guy Grandgirard.

Vendre avant saturation du marché
À partir du mois d’avril 2017, une nouvelle vague très importante de clients mécontents d’Artecosa a adhéré à l’ADC après que ceux-ci ont reçu une lettre de la société leur enjoignant de venir récupérer leurs œuvres. Les restitutions ont commencé depuis cette date et l’ADC a alors conseillé aux clients floués de vendre rapidement : « Il faut le faire tant que le marché a sa respiration naturelle, avant qu’il ne soit inondé d’œuvres estampillées Aristophil, qui vont commencer à être vendues en 2018 », explique le responsable juridique. Il y en a environ 130 000 lettres et manuscrits à vendre, ce qui devrait prendre au minimum cinq ans. Le commissaire-priseur Claude Aguttes est chargé d’inventorier et coordonner la vente de ces lots. Cependant l’association de consommateurs craint qu’il n’y ait une expertise des lettres et manuscrits si Artecosa est placée en redressement judiciaire, et qu’elles soient bloquées deux ou trois ans. Pour aider les victimes à se séparer au plus vite de leurs pièces, l’ADC a conclu un accord avec Me Sylvie Teitgen, commissaire-priseur d’Anticthermal à Nancy, qui a accepté de vendre sans frais vendeur. Mais les clients peuvent aussi décider de vendre les œuvres par eux-mêmes. Il semble cependant inévitable qu’Artecosa dépose son bilan. « Nous avions eu des informations nous annonçant qu’Artecosa serait mise en liquidation judiciaire cet été, mais cela n’est toujours pas le cas. En revanche, nous sommes certains que la société ne travaille plus et qu’il n’y a plus d’opérations », rapporte Me Delomel. « La société existe. Elle essaie de faire de son mieux. Maintenant, je ne peux pas tout dire. Mon avocat vous rappellera », a rétorqué Luc Mazet, joint au téléphone par Le Journal des Arts. De son côté l’avocat d’Artecosa, Me Jean-Didier Belot explique, « il s’agissait juste d’une diversification de patrimoine. Il n’y a jamais eu dans le contrat l’idée d’un placement avec un rendement annuel ». « Je ne suis pas au courant de la plainte d’ADC, explique par ailleurs l’avocat, en revanche j’ai lu les horreurs qu’elle (*) déverse sur son site internet, je prépare moi-même une plainte contre l’association. »

Depuis, une troisième société de ce type a été découverte par l’ADC de Lorraine : Heriteor, qui ne vend pas de manuscrits, mais des timbres et monnaies. Et même une quatrième : Galerie Beaux Arts, aussi créée par Luc Mazet, qui permet aux entreprises de louer des œuvres d’art. Là aussi, un détail serait amusant s’il ne révélait pas des passerelles entre les diverses sociétés : un nombre important de photographies tchèques, d’une vingtaine de photographes différents, figure dans Galerie Beaux Arts. Or, chez Artecosa, un nombre considérable de telles photographies a également été vendu. « Je ne savais pas qu’il y avait autant de photographes tchèques. Il y en a pratiquement dans tous les contrats. Les prix ont certainement été gonflés car certaines ont été vendues entre 5 000 et 10 000 euros », commente Guy Grangirard.

Note

(1) Le Tribunal de Commerce de Paris a prononcé par jugement du 26 septembre 2017 la liquidation judiciaire de la société FL Auction, suite à la déclaration de cessation des paiements en date du 31 août 2017.

Erratum - 3 novembre 2017

(*) Il a été écrit par erreur "Artecosa" au lieu de "elle" [l'ADC] dans le Journal des Arts n°488.

Légende Photo :

Après l’affaire Aristophil, le marché des lettres autographes et manuscrits se trouve encore une fois dans la tourmente. © Thinkstock

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°488 du 3 novembre 2017, avec le titre suivant : Une nouvelle affaire dans le marché des manuscrits

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