Quatre projets décevants attirent une foule considérable aux Halles. Même la polémique est tiède. À l’aide !
Rien de convaincant. Pourtant, l’exposition, dans la grande galerie des Halles, ne désemplit pas. Les questions d’urbanisme passionnent et il faut rendre grâce au maire qui a souhaité que chacun puisse donner son avis. C’est d’abord une superbe galerie de projets. Méfiance. À ce petit jeu, Jean Nouvel gagne toujours. Ses maquettes, ses dessins, ses animations sont forcément sublimes, souvenez-vous : il avait choisi de n’exposer que cela, cette architecture du virtuel, ce carton-pâte numérique, pour sa rétrospective du Centre Pompidou. S’il gagne, le Paris de notre époque sera le Paris de Nouvel : la fondation Cartier, l’Institut du monde arabe, le musée du Quai Branly – et les Halles. Enjeu de taille pour le plus grand de nos architectes. Pour qu’on ne le soupçonne pas d’être trop favorisé des dieux, il a besoin de l’onction du suffrage universel, que les petits questionnaires distribués à l’exposition peuvent lui donner. Face à son jardin suspendu en 3 D, ces plaines de Beauce au-dessus des toits, les autres maquettes pâlissent donc : Winy Maas dispose des taches de couleur et dessine une assiette de restaurant snob, Rem Koolhaas semble avoir reçu pour Noël la boîte de jeu « Inclusions 2000 » et coule des petits arbres en plastique dans de la résine ambrée, le sage David Mangin traite les élus parisiens comme s’il avait à convaincre le conseil municipal d’une de nos « grandes métropoles régionales », sans penser qu’ils ont tous en tête le Guggenheim de Bilbao, la passerelle du jubilé de Londres et la salle de concerts Walt Disney de Los Angeles. Pour Paris, il faut qu’un projet claque : le « wahoooo effect » dont tout bon architecte doit savoir jouer, pour mieux rassurer ensuite.
Aucun choc. Approchons-nous des élévations, accroupissons-nous devant les maquettes. Aucun choc vraiment, rien qui permette de prolonger la belle tradition polémique de ce lieu maudit. Le désespoir du chroniqueur. Koolhaas sème des derricks sur une morne plaine, sans penser que son terrain de jeu est grand comme le Palais-Royal. Ses pyramides mayas, jolies en maquette, auront vite l’air d’échantillons de parfums dans un tiroir de corner shop. Des plots qui ne signalent rien d’autre qu’eux-mêmes. Nouvel a une belle idée : franchir la ligne des toits. Son jardin suspendu, soutenu par une forêt de poutres dont tous les riverains se plaignent, ressemblera-t-il à ces nouvelles délices de Sémiramis que promettent ses dessins ? Dix ans de pluies acides transformeront en cloaque sa piscine et ses rives plantées, mais n’altéreront pas les mini-tours qu’il bâtit, Dieu sait pourquoi, devant la superbe façade de Saint-Eustache. Sa passerelle de bouquinistes, au lieu de souder les Halles au Centre Pompidou affirme la fracture du boulevard. Winy Maas est incompréhensible : une superposition de plaques transparentes, un vitrail, conceptuel en diable, mais invivable. La seule chose que l’on puisse dire, c’est que ce sera joli vu d’avion. Un avant-goût de paradis pour terroriste kamikaze. David Mangin veut que Paris ressemble à Bordeaux ou à Montpellier, ambition sans risque : une esthétique d’esplanade, un hall commercial, « un toit tranquille où marchent des colombes », il n’y manque que l’évocation du cimetière des Innocents pour méditer entre les tombes.
Pourquoi seulement quatre projets ? Et aussi tièdes ? Nous n’avons même pas le choix entre la peste et le choléra, le Sras et la tuberculose, hélas, on ne nous propose que la grippe, la rougeole, le rhume et l’acné. On aurait voulu que mille fleurs s’épanouissent. En vrac : du néo-Baltard ; un port de plaisance ; une exaltation de la façade de Saint-Eustache, qui pourrait devenir aussi mythique que celle du palais des Papes d’Avignon, si on se donnait la peine de la faire voir ; la mise en valeur de la tour de l’Alchimiste, le monument le plus étrange de Paris, que les quatre projets semblent nier ; un vrai forum à l’antique, avec une tribune aux harangues ; un permanent festival des jardins, aussi créatif et amusant que celui de Chaumont-sur-Loire ; un nouveau marché alimentaire populaire et touristique au lieu d’une bobotière commerciale. Bref, faut-il, M. le maire, se contenter vraiment de ces quatre-là ? Ne pouvez-vous revoir vos copies ? Réponse fin juin, quand la commission d’appel d’offres de la Ville aura tranché. On tremble.
À voir. L’exposition des projets, Forum des Halles, 14 grande galerie, niveau -3, IVe.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Une monumentale panne d’inspiration
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°559 du 1 juin 2004, avec le titre suivant : Une monumentale panne d’inspiration