Une fenêtre sur la rareté

Les salons se suivent… et ne se ressemblent pas ! Alors qu’à Paris, la rive gauche accueille le Parcours des mondes et son public d’amoureux des arts premiers (voir p. 36), la rive droite est le théâtre de ce rendez-vous mondain international : la Biennale des antiquaires et ses marchands d’exception. Parmi les meubles du XVIIIe siècle, les marbres classiques et les stands de haute joaillerie des maisons de la place Vendôme, se faufilent deux téméraires marchands d’arts premiers : le Parisien Bernard Dulon et le Bruxellois Didier Claes. Leur ambition ? Démontrer que les pièces nées sur le continent africain sont des œuvres d’art à part entière dignes de rivaliser avec les plus belles statues grecques d’époque classique. Pour Didier Claes, l’enjeu est de taille, car le jeune marchand ne cache pas ses difficultés à dénicher les pièces d’excellence aptes à séduire cette clientèle fortunée, mais qui n’a pas toujours les connaissances dans ce domaine si particulier des arts premiers. Son stand présentera ainsi des pièces iconiques de l’art africain, tel ce siège à caryatide Luba (République démocratique du Congo) du XIXe siècle appartenant à l’atelier du maître de Kabongo. Par son raffinement d’exécution et sa préciosité, cet objet de cour associé au pouvoir sera proposé pour la somme coquette de 800 000 euros. Didier Claes se défend toutefois de ne présenter que des pièces inabordables. « Je suis un marchand qui aime vendre et qui souhaite tisser des relations sur la durée avec un collectionneur », confie-t-il, soucieux de rassurer une clientèle en devenir. Parmi les objets les plus abordables de son stand, on trouvera ainsi une petite statue Yaka du Congo aux environs de 10 000 euros, une très belle coupe à vin de palme Kuba (de la fin du XIXe siècle et provenant de la collection du célèbre critique d’art Félix Fénéon) à 30 000 euros, ces très rares effigies de triplés Ibeji Yoruba du Nigeria à 30 000 euros également ou bien encore cette harpe Zande de la République démocratique du Congo à 75 000 euros. De quoi satisfaire tous les appétits et toutes les bourses ! « Mon stand est en face de celui de Didier Aaron qui expose des meubles des XVIIIe et XIXe siècles », se félicite ainsi Didier Claes, trop heureux d’abolir les frontières entre arts premiers, arts décoratifs et arts occidentaux…

Pour Bernard Dulon – qui réussit le double exploit de participer au Parcours des mondes et à la Biennale –, le souci d’exigence et d’ouverture est le même. Selon le marchand parisien qui s’enorgueillit de vendre aux plus grands musées du monde, la Biennale attire une clientèle internationale extrêmement fortunée à qui l’on se doit de présenter des pièces d’exception, tel ce masque Punu du Gabon collecté en 1888 par un membre de la Congrégation des pères du Saint-Esprit. Par son style archaïque irréprochable (les traits de la jeune fille défunte sont d’une sensualité extrême), cette pièce sera ainsi proposée autour de 350 000 euros. « L’art africain est devenu rare et cher », souligne  Bernard Dulon qui ne cache pas, lui aussi, ses difficultés à trouver des pièces exceptionnelles comme ces fétiches à clous nkissi du Congo rassemblés sur son stand. Parmi ces statuettes dont la fonction magico-religieuse le dispute à l’expressivité formelle, se détache ainsi cette figure de nain dardée de clous du XIXe siècle, d’une présence saisissante. Par sa rareté, l’œuvre devrait atteindre plusieurs millions d’euros… Que le visiteur de la Biennale se rassure cependant : Bernard Dulon variera les plaisirs en proposant sur son stand des objets plus modestes par le prix mais d’une facture et d’une provenance irréprochables, comme cet ensemble de peignes oscillant entre 10 000 et 15 000 euros, ou cette statuette Babembe  avoisinant les 10 000 euros. « C’est la preuve que dans l’art africain, les coups de cœur et les découvertes sont encore possibles », résume, avec une pointe de malice, le marchand…

Art asiatique
Aux côtés des très belles pièces canoniques de l’archéologie classique présentées à la Biennale (comme cette tête de Koré néo-attique ou cette effigie de la déesse égyptienne Sekhmet exposées sur le stand de la galerie Chenel), l’art asiatique occupe une place de choix. On portera ainsi ses pas vers la galerie de Jean-Christophe Charbonnier, ce grand expert des armures japonaises, ou bien encore vers celle de Gisèle Croës. La marchande bruxelloise – qui nous a confié son attachement affectif pour la Biennale à laquelle elle participe depuis 1980 –, exposera, au centre de son stand, une tête colossale de bodhisattva du VIe siècle de notre ère provenant du Sichuan. Ayant appartenu à une collection privée belge, cette pièce rarissime pesant quelque 880 kg devrait atteindre les 5 millions d’euros ! La galeriste proposera également un très bel ensemble de bronzes archaïques chinois allant de la période d’Erlitou jusqu’aux Printemps et Automnes, en passant par l’époque des Shang et des Zhou de l’Ouest. Soit un panorama complet des grandes heures de cette discipline artistique ! Par leur rareté et leur préciosité, ces pièces débuteront à 120 000 euros pour atteindre 1,5 million d’euros. À qui s’adressent ces objets d’exception, est-on tenté de demander à cette galeriste confirmée ? « A une clientèle éclectique et cultivée de Français, d’Américains, de Suisses, d’Italiens du Nord, d’Allemands, mais aussi, depuis peu, de Chinois. Ces derniers sont arrivés discrètement il y a quatre ans, mais lors de la dernière édition de la Biennale, ils étaient beaucoup plus nombreux ! », nous répond, optimiste, Gisèle Croës.