La Suisse est venue tard au mécénat d’entreprise. Elle a toujours préféré les traditionnelles fondations, à la gloire de leur fondateur, au relatif anonymat de cette nouvelle forme de financement.
GENÈVE - La Suisse a une conception différente du mécénat. L’absence totale de vie de Cour n’a pas ancré cette tradition. De plus, la culture et sa diffusion sont du ressort de chaque canton, ou de celui des villes. Les entreprises helvétiques ont, de ce fait, beaucoup plus subventionné des activités sportives ou des événements locaux. Des sociétés étrangères, comme American Express, ont engagé les premiers programmes importants de mécénat en faveur des arts plastiques avec leur participation aux deux plus grandes expositions de ces dernières années à Genève, Hopper et celle consacrée à la revue Le Minotaure.
L’importance des fondations suisses doit être soulignée. L’intervention dans les arts plastiques a été l’apanage de personnes privées, et non celui des entreprises. Des musées comme ceux de Bâle ou de Zurich n’existeraient pas sans les legs en œuvres d’art de familles d’industriels, et ces dons se raréfient beaucoup moins que dans d’autres pays. Mais l’importance même de ces donations rend leurs auteurs moins sensibles à des projets de financement ponctuels. La fondation correspond beaucoup plus au sens de l’immuable et de la tradition suisses.
Nombre d’entre elles ne sont pas des "princesses au bois dormant" comme certaines fondations américaines, et développent une grande activité de mécénat : la Fondation Abegg à Muri (canton de Berne) – la plus importante collection de tissus au monde –, a le plus grand atelier de restauration de tissus anciens ; la Fondation Kreps, de Schaffhouse, est une célèbre collection d’art contemporain qui commande régulièrement des œuvres. Les fondations Giannada (Martigny), Edelmann, et de l’Ermitage (Lausanne), sont les plus importants organisateurs d’expositions en Suisse romande et suppléent certaines carences des pouvoirs publics.
La fondation la plus connue demeure Pro Helvetia. Fondée en 1939 pour sauvegarder la culture suisse et contrer l’influence idéologique des totalitarismes de l’époque, elle dispose actuellement d’un budget annuel de 25 millions de francs suisses, ce qui en fait le partenaire obligatoire de la plupart des activités culturelles.
L’origine des fonds est publique, mais le personnel et les comités qui les gèrent et décident de l’attribution des crédits sont totalement apolitiques et issus des milieux socioprofessionnels les plus divers. Son action est aussi bien de conservation que d’encouragement et de diffusion. Environ un septième du budget global est consacré aux arts plastiques. L’idée maîtresse de Pro Helvetia est d’aider le maximum de projets.
Ses critiques parlent de saupoudrage, mais Pro Helvetia considère qu’il est infiniment plus judicieux d’aider plusieurs jeunes artistes avec une subvention de quelques dizaines de milliers de francs, plutôt que de financer un seul projet majeur, qui trouverait toujours un mécène prêt à associer son nom à une œuvre d’envergure. Un autre principe-clé de Pro Helvetia est de ne jamais intervenir dans l’exécution du projet une fois la subvention accordée, en laissant une autonomie totale à l’artiste.
Problèmes d’éthique
Deux phénomènes ont permis un net développement du mécénat privé ces dernières années. Le développement important du secteur tertiaire en Suisse a obligé ses membres à donner une image plus sophistiquée d’eux-mêmes. Les coupes claires dans les dépenses de fonctionnement des musées suisses ont forcé les conservateurs à prendre leur bâton de pèlerin pour rechercher des mécènes potentiels. La crise des années des années quatre-vingt-dix a amené une baisse d’environ 20 % des budgets de fonctionnement des musées helvétiques. La rénovation du Musée d’art et d’histoire de Genève serait impossible sans le recours massif au mécénat.
Les conservateurs suisses ont, aussi, une approche plus pragmatique que leurs collègues français. Vivant dans des communautés urbaines plus petites, ils sont à même de rencontrer plus aisément le public de leurs musées, de mieux comprendre ses besoins, et d’obtenir ainsi de manière plus spontanée l’aide nécessaire.
À l’heure actuelle, à Genève, une exposition dépassant cent mille francs exige le recours au mécénat ou au partenariat, comme en témoigne l’exposition Stairs de Greenaway. Cette dépendance peut poser des problèmes d’éthique, principalement pour les arts appliqués. L’aide d’une entreprise pour subventionner une exposition consacrée à ses propres produits est-elle vraiment désintéressée ? Quand il s’agit d’un nom historique comme l’horloger Patek Philippe, un intérêt muséal peut se comprendre ; pour d’autres, le doute subsiste.
L’Union de Banques Suisse est certainement la société qui a les programmes les plus ambitieux dans les domaines du sport et de la création. Elle est l’un des mécènes principaux, avec la société d’assurances Winterthur et la Swissair, de l’exposition consacrée aux frères Reinhardt, présentée actuellement à Genève. 1 % des sommes consacrées aux travaux de construction et de réaménagement de ses différents sièges est affecté à la commande d’œuvres d’art. Le nouveau centre administratif de Genève fut d’un coût tellement important (450 millions de francs suisses), que l’on préféra utiliser deux millions seulement pour ce programme et développer, avec la différence, d’autres projets plus modestes.
Parmi ses concurrents, le Crédit Suisse concentre la plus grande part de ses programmes sur la musique, tandis que la Société de Banque Suisse est le sponsor de la Foire d’art contemporain de Bâle et se consacre à la vidéo.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°9 du 1 décembre 1994, avec le titre suivant : Une découverte récente