Jacques Thuillier, spécialiste de la peinture française du Grand Siècle, s’est éteint à l’âge de 83 ans.
PARIS - George de La Tour, les frères Le Nain, Lubin Baugin, Jacques de Bellange, Jacques Stella, Simon Vouet… Autant de peintres français qui doivent à Jacques Thuillier des travaux essentiels à leur postérité. L’historien de l’art, spécialiste du XVIIe siècle français, s’est éteint le 18 octobre. Né en 1928 dans la Meuse, élève à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm (1951-1955), agrégé de lettres classiques et docteur ès lettres, Jacques Thuillier a été professeur à la Sorbonne, puis à Dijon, avant d’être titulaire de la chaire d’Histoire de la création artistique en France au Collège de France de 1977 à 1998 – il en sera ensuite professeur honoraire.
Par ses nombreuses publications et expositions, Jacques Thuillier a largement contribué à la connaissance et à la reconnaissance des artistes du Grand Siècle, à commencer par l’exposition « Georges de La Tour » organisée avec le conservateur Pierre Rosenberg en 1972 à l’Orangerie des Tuileries, à Paris, dont le catalogue demeure une référence. En 1973, il publie Tout l’œuvre peint de George de La Tour (Rizzoli-Flammarion) et signe un nouvel opus sur l’artiste vingt ans plus tard (Flammarion). Les expositions sur les frères Le Nain au Grand Palais, à Paris en 1978, « Claude Gellée et les peintres lorrains en Italie au XVIIe siècle » au Musée des beaux-arts de Nancy en 1982, ou « Laurent de La Hyre » aux musées de Grenoble, Rennes et Bordeaux en 1988-1989 ont indéniablement marqué les esprits.
On lui doit encore la rétrospective Simon Vouet organisée en 1990 au Grand Palais et la publication, en 1998, du catalogue raisonné du peintre Jacques Blanchard parallèlement à une exposition sur l’artiste à Rennes. Les conservateurs du musée rennais font encore appel à lui pour l’exposition « Jacques de Bellange » en 2001, tandis que l’année suivante, il participe à la mise en lumière du travail de Lubin Baugin, à Orléans puis à Toulouse, après avoir découvert treize nouveaux tableaux de l’artiste dans une collection privée.
Rôle de premier plan
Dans son dernier ouvrage, paru en 2003 chez Flammarion, Jacques Thuillier donne une vision toute personnelle de l’histoire de l’art, sans prétendre à l’exhaustivité tout en bannissant les étiquettes habituelles. Le classicisme, le baroque, l’art roman ou le gothique sont selon lui des « notions abstraites » qui empêchent la compréhension des concepts et des subtilités de l’œuvre. Et de citer dans sa préface l’historien de l’art Henri Focillon : « L’art a pour propre non pas de signifier mais de se signifier. » L’ouvrage s’attire les foudres de la critique pour son mépris affiché envers la création contemporaine résumée à une « rupture avec les techniques traditionnelles », constatant qu’« un peintre ne sait plus dessiner une épaule ou un torse ».
Ce parti pris, taxé de réactionnaire, ne saurait faire oublier le rôle de premier plan joué pendant plus de trente ans par Jacques Thuillier sur la scène de l’histoire de l’art. C’est lui, qui, dès 1973, soufflait au président Georges Pompidou l’idée de créer un institut d’histoire de l’art « digne de ce nom ». Ce sera chose faite en 2001 avec la création de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) auquel il lègue, en 2005, ses archives (correspondances scientifiques, notes de travail et photographies) témoignant de ses activités de chercheur, enseignant et aussi de collectionneur. Particulièrement discret dans ce domaine, c’est lui et son frère – cela n’est plus un secret – qui se cachent derrière les donations anonymes faites au Musée des beaux-arts de Nancy et au Musée de Vic-sur-Seille (Moselle). Ainsi l’institution nancéenne inaugure-t-elle, en 2001, son cabinet d’arts graphiques après avoir reçu un ensemble de 2 000 dessins et 12 000 estampes, classé et annoté, faisant la part belle au XVIIe siècle français avec des feuilles signées Laurent de La Hyre, Nicolas Poussin ou Nicolas Mignard.
La donation faite au Musée départemental Georges-de-La-Tour à Vic-sur-Seille (Moselle) donne une nouvelle ampleur à ce jeune établissement inauguré en 2003. Créé suite à la redécouverte d’un tableau du maître par Pierre Rosenberg en 1993, le Saint Jean-Baptiste dans le désert, le musée reçoit de Jacques Thuillier, en 1998, quelque 82 peintures du XVIIe au XXe siècle, avec, sans surprise, un XVIIe siècle parisien particulièrement bien représenté. Un ensemble cohérent, reflet des recherches menées par l’historien d’art pour qui, comme il l’expliquait au magazine L’Œil en 2003, « l’effet de l’œuvre d’art, c’est de permettre de voir plus finement. Elle désigne à la sensibilité des potentiels, dans la nature, par exemple, qui existent, mais ne sont pas nommés. L’art nomme, en un sens ».
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Un XVIIe siècle orphelin
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°356 du 4 novembre 2011, avec le titre suivant : Un XVIIe siècle orphelin