Vandalisme

Un tableau verni

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 12 février 2013 - 628 mots

Plus de peur que de mal pour « La Liberté guidant le peuple » de Delacroix, pièce maîtresse du Louvre-Lens vandalisée par une visiteuse perturbée.

Delacroix Liberté guidant le peuple
Eugène Delacroix (1798 - 1863), La Liberté guidant le peuple, 1830, huile sur toile, 260x325 cm, Musée du Louvre

LENS - Prêtée pour l’ouverture du Louvre-Lens dont elle est devenue l’étendard, la célèbre toile d’Eugène Delacroix La Liberté guidant le peuple (1830) a été vandalisée le 7 février. Peu avant la fermeture du musée, une jeune femme de 28 ans a eu le temps d’inscrire, sur 30 cm de long et 6 cm de haut, cinq lettres au marqueur dans la partie inférieure du tableau, avant d’être interpellée et placée en garde à vue. L’incident, largement relayé par les médias, a provoqué un branle-bas de combat au sein de l’institution et dans la maison mère. Pas question de laisser le doute s’installer quant au dispositif de sécurité de ce musée ayant vocation à rendre les œuvres accessibles au plus grand nombre. Dépêchée sur place en urgence, une restauratrice s’est évertuée, dès le lendemain matin, à supprimer l’inscription de cinq lettres : « AE911 », signature d’un groupuscule d’architectes et ingénieurs qui défendent une théorie du complot relativement aux attentats du 11-Septembre. Après avoir effectué des tests, le feutre a été totalement retiré à l’aide d’un coton imbibé d’acétone, un solvant très utilisé en restauration. L’opération a duré moins de deux heures. « La couche picturale n’a pas été atteinte, il n’y a pas eu de pénétration dans le vernis », nous a précisé Xavier Dectot, le directeur du Louvre-Lens. « Le vernis très épais a joué son rôle », a, pour sa part, déclaré à la presse Vincent Pomarède, directeur du département des Peintures au Louvre. Conscient des enjeux de la restauration et du danger des dévernissages radicaux, Delacroix, dans son journal en date du 11 janvier 1857, écrivait déjà : « Il faudrait que les vernis fussent une cuirasse pour le tableau. » « Delacroix voulait que son vernis soit épais ; cet accident lui donne évidemment raison contre la mode contemporaine en restauration qui impose des vernis ultra-minces […] également incompatibles avec l’esthétique des peintures anciennes », a commenté le président de l’Aripa, l’association pour le respect de l’intégrité du patrimoine artistique. Pour ce spécialiste de la restauration, l’épaisseur du vernis a joué un rôle primordial. Beaucoup moins chanceux, le tableau de Mark Rothko conservé à la Tate Modern (Londres), détérioré par une tache noire en octobre dernier, pose de sérieux problèmes de restauration.

La sécurité a-t-elle fait défaut au Louvre-Lens ? « Le risque zéro n’existe pas à partir du moment où l’on décide de présenter des œuvres dans un musée. Nous avons visionné et analysé les bandes vidéo. Tout est allé très vite : en moins d’une dizaine de secondes, la jeune femme a été interpellée par le vigile et un visiteur », explique Xavier Dectot. Et de préciser que le tableau de Delacroix était présenté avec une mise à distance « normale », c’est-à-dire de la longueur d’un bras. Le dispositif de sécurité sera renforcé temporairement en raison de l’afflux éventuel de visiteurs curieux que cet incident pourrait provoquer. La visiteuse indélicate a, quant à elle, été jugée pénalement irresponsable et internée en hôpital psychiatrique. L’incident ne remet donc pas en cause la présentation du chef-d’œuvre à Lens, un tableau très sollicité. Réputée fragile, la toile avait été envoyée fin 2004 à Strasbourg, dans le cadre d’une vaste opération de décentralisation orchestrée par le ministère de la Culture ; les conditions de transport peu satisfaisantes avaient provoqué l’ire des conservateurs.
Dès le samedi 9 février, tout était rentré dans l’ordre. Et la galerie du Temps du Louvre-Lens avait rouvert ses portes, prête à accueillir de nouveaux visiteurs et battre les records d’une fréquentation qui s’élève déjà à 205 000 visiteurs moins de deux mois après son inauguration.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°385 du 15 février 2013, avec le titre suivant : Un tableau verni

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