Les sénateurs recommandent une meilleure coordination entre les services et un rééquilibrage au profit du ministère de la Culture.
France. Si le Louvre Abu Dhabi, la Fondation Aliph et les fouilles archéologiques sur le site d’Al-Ula incarnent avec succès la diplomatie culturelle française, ces trois projets dépendent d’acteurs différents. Le Louvre Abu Dhabi est une création de l’agence France Muséums (société française de droit privé à actionnariat public, dont le Louvre) alors que Aliph est une fondation de droit privé à statut d’ONG (dont la France est cofondatrice et premier financeur). Les fouilles archéologiques dépendent du CNRS et du Bureau des fouilles du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), et font partie des activités supervisées par l’agence Afalula (création franco-saoudienne). C’est précisément ce type de projets incluant de multiples acteurs que le rapport de deux sénatrices (Catherine Morin-Desailly et Else Joseph) prend comme exemples pour répondre aux enjeux : comment mieux coordonner les parties prenantes et créer une dynamique ?
Le rapport, présenté en commission mercredi 25 octobre, constate que la France a un savoir-faire reconnu dans le domaine du patrimoine, avec de belles réussites à l’international. Mais rapidement, les deux rédactrices en arrivent aux problèmes structurels : deux ministères gèrent en parallèle les demandes d’expertise patrimoniale, le MEAE et le ministère de la Culture. Un schéma simplifié résume, dans le rapport, les principaux acteurs et leurs liens avec ces deux ministères, et les sénatrices en concluent qu’il n’y a quasiment pas de coordination entre les deux. Mais au sein des ministères, les services ne se coordonnent pas non plus : c’est le cas entre le Secrétariat général du ministère de la Culture, qui gère la Mission Expertise Culturelle Internationale (MECI) et la Direction des patrimoines dont dépendent les directions des métiers du patrimoine.
Interrogée par Le Journal des Arts, Catherine Morin-Desailly parle même de « concurrence interne aux services » d’un même ministère. Elle pointe « une coordination déficiente », notamment parce que les deux ministres ne pilotent pas conjointement les questions patrimoniales de la diplomatie d’influence. Le rapport souligne que c’est un problème ancien et Catherine Morin-Desailly affirme qu’il manque « une incarnation politique » sur ce sujet. Il est vrai qu’en dehors des inaugurations officielles (Louvre Abu Dhabi, Centre Pompidou Kanal) et des visites présidentielles (Emmanuel Macron au Liban), les politiques sont peu loquaces sur l’expertise française en matière de patrimoine à l’étranger. Le rapport avance pourtant que c’est un enjeu politique de taille, et Catherine Morin-Desailly ajoute que « la demande des pays étrangers est très forte », tant au niveau des musées que de la formation des conservateurs ou de la protection du patrimoine.
Or les musées et les professionnels français du patrimoine sont sous la tutelle du ministère de la Culture, et non du MEAE lequel garde le contrôle de la diplomatie d’influence française. Catherine Morin-Desailly prône donc un rééquilibrage, qui favoriserait le ministère de la Culture, qui est de facto « le premier interlocuteur des pays étrangers lorsqu’ils souhaitent une expertise muséale ». Elle propose dans le rapport de créer une « task force » avec des hauts fonctionnaires des deux ministères, ainsi que les ministres concernés, qui se réuniraient régulièrement. La sénatrice remarque que la Direction générale des patrimoines et de l’architecture est plutôt tournée « vers les missions nationales », mais suggère d’utiliser, pour des missions à l’international, « le vivier d’experts » qui en dépend (conservateurs, restaurateurs d’art, architectes, archivistes). Le MEAE pourrait dans le même temps utiliser le réseau diplomatique à l’étranger (ambassades, Instituts français) pour « faire de la prospective » et, en quelque sorte, devancer les demandes d’expertise et de formation professionnelle, en raison de la bonne connaissance du terrain local que possèdent les diplomates. On notera qu’avec la disparition progressive des diplomates de métier, cette compétence pourrait se faire rare.
Reste un obstacle, de nature financière : le rapport constate que les budgets consacrés à l’expertise patrimoniale et à sa promotion sont insuffisants. Catherine Morin-Desailly parle d’un secteur « très concurrentiel, où les États-Unis et l’Allemagne, par exemple, sont très actifs », ce qui nécessite des moyens importants. Elle cite le cas d’un échec français récent, le Grand Musée égyptien du Caire, un chantier remporté par un cabinet d’architectes germano-irlandais : est-ce dû à un manque de coordination ou à un manque de moyens côté français ? La question des budgets consacrés à la diplomatie d’influence reste sensible car elle dépend d’arbitrages « en haut lieu » comme le pointe le rapport, qui n’aborde pas la mainmise de l’Élysée sur la diplomatie culturelle. D’autres rapports plus anciens, notamment de la Cour des comptes, préconisaient déjà une réforme du secteur de la diplomatie d’influence, en vain : peut-être ce rapport émanant d’élus trouvera-t-il une oreille attentive auprès des ministres et du président de la République.
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Un rapport du Sénat prône une réforme de l’expertise française en matière de patrimoine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°620 du 3 novembre 2023, avec le titre suivant : Un rapport du Sénat prône une réforme de l’expertise française en matière de patrimoine