Musée

Un ovni architectural

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 17 novembre 2006 - 895 mots

PARIS

En 1971, lorsque Piano et Rogers sont déclarés vainqueurs du concours, leur projet provoque un véritable scandale. Trente ans plus tard, le bâtiment du Centre Pompidou reste l’un de ses meilleurs atouts.

"Un bâtiment mal élevé." C’est ainsi que Renzo Piano commente aujourd’hui l’édifice qui lui a permis d’accéder, jeune trentenaire, à la notoriété internationale. « Il s’agissait d’un acte bravache et sauvage », renchérit l’architecte, qui, sans renier cette œuvre de jeunesse, s’est, depuis, tourné vers une architecture beaucoup plus révérencieuse. Si, pour les touristes, le Centre Pompidou demeure encore aujourd’hui l’une des principales curiosités architecturales de la capitale, sa construction provoqua en son temps un véritable coup de tonnerre. Le 15 juillet 1971, le jury dans lequel siègent Jean Prouvé [lire p. 12], mais aussi le Brésilien Oscar Niemeyer – alors en exil à Paris –, annonce son choix du projet d’un duo de jeunes architectes encore méconnus du grand public : l’Italien Renzo Piano (né en 1937) et le Britannique Richard Rogers (né en 1933). Ces derniers sont associés à l’ingénieur Peter Rice (1935-1992) du bureau d’études londonien Ove Arup, qui permettra de concrétiser l’audace technique du projet. Le président Georges Pompidou, initiateur du projet et pourtant hostile à une « muséification de Paris », ne partage pas cet avis. Qu’importe. Pour la première et dernière fois lors d’un concours de ce type (à l’exception du parc de La Villette), le jury demeure pleinement souverain et impose son choix parmi les 681 propositions reçues, dont 491 proviennent de l’étranger.

Une « raffinerie culturelle »
Décomplexés par rapport à la tradition architecturale française, les deux architectes frappent fort en amarrant un « vaisseau spatial » (Rogers) sur le plateau Beaubourg, à l’orée du quartier du Marais et de ses nobles hôtels particuliers. Le gabarit du bâtiment – auquel le programme du concours n’impose aucune contrainte – s’élève à plus du double de la hauteur des immeubles avoisinants. Ses couleurs, sa transparence…, tout attise le scandale de la profanation du Paris historique, en pleine affaire de la démolition des Halles de Baltard entreprise cette année-là, un monument pour lequel l’opinion s’est réveillée bien tardivement. Piano et Rogers ne cèdent pas et revendiquent cette rupture d’échelle, seule à même de créer un édifice compact autorisant le dégagement d’un vaste parvis, poumon vital dans le bâti dense du vieux Paris. Quant au choix de la centralité, il relève d’un vœu présidentiel, Georges Pompidou souhaitant effacer l’échec du projet de grand musée du XXe siècle d’André Malraux. Faute de bénéficier d’un site au cœur de Paris, le ministre des Affaires culturelles du général de Gaulle avait dû renoncer au déménagement du Musée national d’art moderne de son aile de l’avenue du Président-Wilson. Pressenti pour sa construction, Le Corbusier avait en effet refusé son implantation à la Défense, préférant le site des Grand et Petit Palais, deux édifices qu’il souhaitait détruire.
L’ancien terrain vague du plateau Beaubourg ouvert à l’emplacement de l’« îlot insalubre no 1 » – celui où le taux de mortalité par la tuberculose avait été le plus élevé de la capitale – est mis en chantier en 1972. Trois niveaux d’infrastructure sont creusés pour supporter la grande superstructure de verre et d’acier, montée tel un Meccano entre septembre 1974 et juin 1975 avec des pièces préfabriquées dans une aciérie allemande et convoyées de nuit. Constituée de portiques métalliques, l’ossature – peinte en blanc – de ce géant d’acier demeure entièrement lisible, alors que toute sa « tripaille » technique est rejetée à l’extérieur des façades, les couleurs correspondant à une signalétique précise : bleu pour la circulation de l’air ; vert pour les fluides ; jaune pour les gaines électriques et rouge pour les circulations verticales et la sécurité. De vastes plateaux libres de 7 500 m2 sont ainsi dégagés à chaque niveau. Piano et Rogers ont gagné leur pari : concevoir un édifice antimonumental désacralisant le traditionnel palais des arts, grâce à une esthétique relevant de l’architecture industrielle. En pleine crise pétrolière, le Centre national d’art et de culture est qualifié par la critique de « raffinerie culturelle ». Les architectes ont pourtant dû renoncer à quelques gadgets high-tech qui avaient séduit le jury. Ainsi de la façade composée par de grands écrans audiovisuels projetant des spectacles en continu. Leur abandon a toutefois permis la greffe du tube transparent contenant les escaliers mécaniques, qui restent l’une des attractions du Centre malgré un accès limité, depuis les travaux de rénovation (1997-2000), aux seuls visiteurs du Centre.
Mort en avril 1974, Georges Pompidou n’eut pas le loisir d’inaugurer le premier grand chantier
culturel de la Ve République. Après avoir envisagé la suspension du projet contre l’avis de son Premier ministre (Jacques Chirac), le jeune président Valéry Giscard d’Estaing l’inaugure en ricanant, le 31 janvier 1977. Deux jours plus tard, 50 000 visiteurs se pressent déjà dans ce « paquebot des arts », augurant un succès public jamais démenti, dans lequel l’architecture joue toujours la tête d’affiche.

Le Centre Pompidou en chiffres

- Coût de la construction : 993 MF (1972), soit 829 millions d’euros actuels - Coût des travaux de rénovation : 576 MF (1999) soit 98 millions d’euros actuels - Superficie : 103 305 m2 - Dimensions : longueur 166 mètres ; largeur 60 mètres ; hauteur 42 mètres - Ossature métallique : 15 000 tonnes d’acier - Surfaces vitrées : 11 000 m2

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°247 du 17 novembre 2006, avec le titre suivant : Un ovni architectural

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