Le même jour, six tableaux spoliés ont décroché près de 239 millions de dollars chez Christie’s à New York.
VIENNE - Le mercredi 8 novembre est une date à marquer d’une pierre blanche. Ce jour-là, Christie’s a réalisé le produit record pour une vente du soir d’art moderne, soit 491,4 millions de dollars (382,9 millions d’euros). Sur cette somme, près de 239 millions de dollars provenaient de six œuvres restituées par des musées aux descendants de leurs propriétaires spoliés par le régime nazi. Cet ensemble comptait notamment quatre tableaux de Gustav Klimt, issus de la collection d’Adèle et Ferdinand Bloch-Bauer et rendues cette année à leur nièce, Maria Altmann. À elles seules, ces toiles ont totalisé 192,6 millions de dollars.
Par une pirouette du hasard, le 8 novembre, une longue bataille de restitution a aussi connu une issue heureuse. Le gouvernement autrichien a consenti à restituer un paysage d’Edvard Munch, Nuit d’été à la mer (vers 1902), ayant appartenu à Alma Mahler-Werfel, veuve du compositeur Gustave Mahler. Ce tableau lui avait été offert à la naissance de sa fille Manon. En 1937, Alma décide de le prêter à la Galerie du Belvédère à Vienne, en même temps que trois tableaux de son père, le peintre Jakob Emil Schindler. Ayant entre-temps épousé en troisièmes noces l’écrivain juif Franz Werfel, Alma Mahler doit fuir l’Autriche le 13 mars 1938. Son beau-père, le sympathisant nazi Carl Moll, récupère le tableau auprès du musée, avant de le lui revendre pour 7 000 Reichmarks en avril 1940 par l’intermédiaire de sa fille, Marie Eberstaller, ce à l’insu de sa légitime propriétaire.
Le principe de l’extrême injustice
À l’issue de la guerre, en août 1947, Alma Mahler demande la restitution du Munch et d’un tableau de Schindler. Le 16 juin 1953, sa demande est déboutée. Nonobstant cette décision de la cour d’appel, le ministère de la Culture autrichien conclut le 1er juillet un accord avec Alma Mahler proposant de rendre le Munch en échange de la possibilité de conserver les Schindler. Un accord resté sans suite. Ce n’est qu’en 1999 que la petite-fille d’Alma, Marina Mahler, remplit à nouveau une demande de restitution, poussée par la promulgation l’année précédente d’une loi autrichienne sur la restitution des œuvres d’art. Sa demande est toutefois éconduite pour des questions de procédure, le cas ayant été statué en 1953. Bien que le jugement reconnaisse la légitimité historique et morale de sa quête, la bureaucratie a le dernier mot ! Le 16 février 2006, Marina Mahler remplit une autre demande en référence cette fois à une nouvelle loi de 2001. « Cette loi se fonde entièrement sur le principe de l’extrême injustice. Elle implique que les décisions juridiques iniques prises par le passé sont caduques, nous a déclaré Ger-Jan Van den Bergh, l’avocat de Marina Mahler. Mais cette loi ne concernait que l’immobilier et les comptes bancaires. Notre argument était que la loi devait être étendue aux œuvres d’art, sur la base même de la Constitution autrichienne qui précise que des cas similaires doivent être traités de la même façon. En un sens, nous faisons jurisprudence. »
Ce tableau prendra-t-il le chemin du marché comme nombre d’œuvres restituées ? D’après le marchand parisien Luc Bellier, un tel tableau pourrait être estimé entre 6 et 8 millions de dollars. Jusqu’à présent, Sotheby’s détient le record pour un tableau de Munch, Summer Day (1904-1908), adjugé pour 6,1 millions de livres sterling (9,1 millions d’euros) en février. « Je veux seulement la paix, et regarder le tableau quand je le retrouverai, précise Marina Mahler. Lentement, je vais réfléchir à ce que je ferai. Pour l’instant, je ne veux pas y penser. Je n’aime pas la frénésie des médias qui associent la restitution à l’argent, ce qui ternit l’image de cette démarche légitime. » Marina Mahler n’a pas tort de réserver sa réponse. La revente par Pierre de Gunzburg en novembre 2004 d’un tableau de Sisley alors qu’il avait affirmé vouloir le conserver lors de sa restitution avait beaucoup surpris.
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Un Munch rendu à ses héritiers
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°247 du 17 novembre 2006, avec le titre suivant : Un Munch rendu à ses héritiers