Les meubles rares et de belle qualité d’exécution ainsi que le goût pour des pièces de grande décoration sont les deux moteurs d’achat du marché du mobilier XVIIIe français.
À en juger par l’intérêt croissant que suscite depuis quelques années le XXe siècle, le marché du mobilier XVIIIe français pourrait paraître sur le déclin. Mais ce n’est pas le cas. Si les meubles XVIIIe très classiques et de moyen de gamme ont souvent du mal à trouver preneur, les pièces de belle qualité d’exécution qui sortent du lot par l’originalité de leur forme, de leur décor et par leur provenance prestigieuse, n’ont rien perdu de leur attrait, au contraire. Dès qu’une très belle pièce apparaît sur le marché, les prix flambent. Le 8 juin à Drouot, la SVV Ader proposait un rare bureau plat de commande à plateau rectangulaire, d’époque Louis XVI, estampillé Jean-François Leleu. Plaqué de bois de rose marqueté en ailes de papillon, il présentait trois tiroirs, des montants arrondis, des pieds fuselés à fausses cannelures marquetées et à sabots en bronze doré à feuilles d’acanthe ainsi qu’une belle ornementation de bronzes ciselés et dorés à lingotière nervurée, chutes à double feuilles d’acanthe à graine et entrées de serrure en cartouche, souligné de feuilles d’eau. Estimé 80 000 euros, il a été adjugé 186 000 euros à un courtier européen. « Tout au long de sa carrière, Leleu a développé un style original axé sur la pureté des lignes et la sobriété du décor marqueté et de l’ornementation de bronze ciselé et doré, souligne l’expert Guillaume Dillée. Ce type de meuble, présenté dans son jus, correspond à un goût pour le XVIIIe français dans son aspect le plus moderne. » « La provenance, un bon fonds de maison française, a aussi eu son effet », ajoute David Nordmann, le commissaire-priseur de la vente. Dans le même goût, le 21 juin chez Christie’s à Paris, une table à écrire d’époque Louis XVI, doublement estampillée Jean-Henri Riesener et Adam Weisweiler, s’est envolée à 324 000 euros, quatre fois son estimation.
Des fonds sains
« Des ventes saines » (par opposition aux stocks d’invendus de marchands, livrés régulièrement aux enchères), c’est ce que repèrent les professionnels du mobilier XVIIIe parmi les nombreuses ventes qui se déroulent toute l’année à Drouot. Ces vacations leur permettent de renouveler leur offre pour le Salon du collectionneur ou la Biennale des Antiquaires à Paris, mais aussi pour la foire Tour & Taxis à Bruxelles où le grand goût français est apprécié. Les maisons de ventes parisiennes Beaussant Lefèvre, Piasa et de Maigret qui ont la réputation de disperser des fonds sains de propriétés ou de châteaux français, avec des pièces de belle facture, authentiques et inédites, sont plébiscitées autant par les collectionneurs que par les marchands. « On peut y acheter les yeux fermés », s’avance même un antiquaire du faubourg Saint-Honoré. La vente de prestige organisée par la SVV Binoche depuis deux ans début janvier attire aussi nombre d’amateurs. Ainsi, une table de salon d’époque Transition Louis XV-Louis XVI, estampillée Charles Topino, en placage de bois indigène marqueté sur toutes ses faces de paysages et de scènes animés de chinois avec des ornements de bronze ciselé et doré, a été enlevée pour 144 000 euros le 29 janvier 2007 à Drouot chez Binoche, soit quatre fois son estimation.
Lots d’objets rares
Tout aussi rares, les beaux objets d’art du XVIIIe de grande décoration ont vraiment la cote en ventes publiques. Le 20 juin, une vente organisée par Piasa a fait la part belle à des lots extraordinaires telle une rare paire de coquillages montés de bronze et rehaussés de corail, reposant sur des tritons à double queue placés sur une base en écaille brune cerclée. Ces objets du XVIIIe, de 11 cm de hauteur, dignes des plus grands cabinets de curiosité, ont été emportés 50 320 euros la paire, dix fois leur estimation. Dans la même vente, une spectaculaire fontaine du XVIIIe en plomb, de 1,76 mètre de hauteur, estimée 30 000 euros, a été emportée pour 69 340 euros. Les amateurs ont été séduits par l’extravagance de son décor, soit un déversoir figurant un amour assis sur un tertre, un carquois et un arc à ses pieds, sur des fonds de roseaux, entouré de flots stylisés s’écroulant sur le montant du bassin en forme de coquille renversée et reposant sur un fût tout aussi richement décoré.
Aux prémisses d’une commode Louis XV traditionnelle, l’ébéniste Noël Gérard, en accentuant les éléments caractéristiques de ce style naissant, met en place l’un des jalons du mobilier français par un subtil jeu de courbes et contre-courbes (ill. ci-dessus). L’accentuation des galbes, l’échancrure dans la partie basse de la façade, l’introduction de bandes de laiton en incrustation et de pastilles gravées sur les montants rythment l’architecture du meuble et conduisent à un allègement de ses volumes. Le décor de marqueterie de croisillons et la riche ornementation de bronze doré (chutes à tête de satyres évoquant le répertoire de Boulle dans les angles, tête de lion dans la partie basse en retrait de la façade, têtes d’hommes barbus dans les renfoncements des côtés et pieds en enroulement de feuilles d’acanthe) ajoutent à son attrait, sans oublier sa provenance illustre. Cette commode qui est à rapprocher d’un autre modèle d’époque Régence et vendu 488 200 euros chez Sotheby’s à Monaco le 11 décembre 1999, combine tous les éléments qui font un meuble d’exception. Sur une estimation de 200 000 à 300 000 euros, elle sera l’un des lots phares de la vente de mobilier du 18 octobre à Paris chez Sotheby’s.
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Un marché peu commode
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : Un marché peu commode