Partagé entre Paris, Bruxelles et New York, le marché de l’art primitif connaît un paradoxe. Une raréfaction de la marchandise s’accompagne d’une profusion de ventes et de marchands.
De l’avis de tous les professionnels, Paris est la plaque tournante du marché de l’art primitif. C’est là que Sotheby’s et Christie’s ont choisi de concentrer leurs principales ventes. « Depuis deux ou trois ans, le marché américain est très calme. À New York, les galeries travaillent principalement sur rendez-vous », précise Tim Teuten, expert chez Christie’s. En revanche, les gros collectionneurs comme Jim Ross sont américains. De son côté, Bruxelles reste une place forte, où beaucoup de marchands viennent chiner l’art du Zaïre. « Voilà trente ans, Bruxelles fournissait beaucoup Paris. Le rapport est maintenant plus égalitaire », insiste Christine Valluet, codirectrice de la galerie parisienne Valluet-Ferrandin. Une fiscalité plus souple et des loyers quatre fois moins élevés qu’à Paris y ont attiré quelques pointures étrangères, comme Wayne Heathcote. « Mais on voit peu de grandes collections belges apparaître sur le marché », rappelle le marchand bruxellois Bernard de Grunne. À l’opposé des maigres crédits d’acquisition du domaine de Tervuren, le Musée du quai Branly à Paris est un appel d’air pour la profession. En 1998, il s’est doté d’un budget d’acquisition sur cinq ans d’un montant de 22,5 millions d’euros. « L’ouverture du pavillon des Sessions au Louvre et l’annonce du Quai Branly ont donné un ballon d’oxygène, non pas tant sur le plan financier, mais de nouveaux collectionneurs ont pu voir que les arts primitifs n’étaient pas des arts indignes », observe Christine Valluet.
Après les folies enregistrées en 2001 sur les ventes Hubert Goldet et René Gaffé, les collectionneurs ont recouvré leurs esprits. « Le marché se rétrécit de manière irréversible. Les belles choses valent cher et les objets moyens se vendent moins bien qu’il y a cinq ans », remarque Patrick Caput, expert chez Sotheby’s. Malgré cette raréfaction, le marché est saturé par les ventes publiques. Certaines dispersions font d’ailleurs cohabiter de manière éhontée le bon grain et l’ivraie. « Ces ventes-là sont faites pour le collectionneur moyen qui ne trouve plus d’objets de qualité dans sa gamme de prix et à qui l’on fait miroiter un supposé chef-d’œuvre entre 5 000 et 20 000 euros », regrette le galeriste Bernard Dulon (Paris).
Pedigree et beauté
Il n’y a pas de miracle, le pedigree et la beauté font toujours mouche. Le 7 avril, un reliquaire Fang du XIXe siècle a atteint 408 500 euros chez Fraysse & associés. Un prix justifié par la provenance du marchand Paul Guillaume et celle de Paul Éluard. Si les ventes de décembre 2003 ont été touffues mais laborieuses, celles de juin semblent plus consistantes. Le 7 juin, Artcurial Briest-Poulain-Le Fur ouvre le feu avec un reliquaire Fang, ancienne collection Arman, estimé 100 000-150 000 euros. Christie’s affiche le 14 juin une statue Fang, provenance Georges de Miré (200 000-300 000 euros). Le 15 juin, Sotheby’s offre pour 120 000-170 000 euros un couple Senoufo de la collection de Peter et Vera Schnell, collecté par Emil Storrer en 1954. Mais le pedigree a tendance à apporter une plus-value excessive sur les objets moyens. « Une correction est en train de se faire. Il ne faut pas que les pedigrees prennent le dessus sur la qualité intrinsèque des pièces. Trop de gens se sont intéressés artificiellement à ce marché avec des visées d’investissement et ont faussé les prix », rappelle le galeriste parisien Renaud Vanuxem. Dans la vente Gaffé, un singe mendiant Baoulé a décroché 3,7 millions de francs. Cet objet, ainsi qu’un masque Punu adjugé 3,4 millions de francs et un appuie-nuque Yaka vendu pour 2,1 millions de francs dans la vente Goldet, vont repasser sous le marteau de Calmels-Cohen le 10 juin. Les estimations de ces pièces, pour lesquelles le président de Phillips, Simon de Pury, avait enchéri, ont été sensiblement révisées à la baisse.
L’engouement est persistant sur les grands classiques du Gabon et du Zaïre alors que le Cameroun et le Mali sont parfois sous-cotés. « L’évolution des goûts est liée aux publications qui apportent une respectabilité aux pièces, précise le galeriste Bernard Dulon (Paris). Un des pays les plus sous-cotés actuellement est le Nigeria, car c’est le plus grand producteur de faux. Pourtant, dans tout ce qui n’est pas labellisé, on peut acheter un chef-d’œuvre pour pas très cher. » L’art océanien poursuit sa courbe ascendante, sans observer d’excès car les objets sont très rares. À quelques exceptions près, les prix de la vente André Breton en 2003 étaient plutôt raisonnables. Les professionnels savaient que le meilleur avait déjà été cédé aux musées. « J’ai acheté des pièces pour un quart de la somme que je pensais débourser. Mais les choses moins bien se sont quand même vendues cher », note le spécialiste de l’art océanien, Anthony Meyer. À noter enfin une progression de l’ethnographie océanienne, dont les prix ont doublé voire triplé en cinq ans.
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Un marché en pleine effervescence
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°194 du 28 mai 2004, avec le titre suivant : Un marché en pleine effervescence