Passage obligé des riches étrangers en villégiature, la région PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur) n’offre pourtant pas l’image d’un eldorado pour le marché de l’art. À quelques exceptions près, les ventes publiques drainent essentiellement une marchandise locale. Aix-en-Provence, Nice et Cannes ont connu leurs belles heures avec des antiquaires de qualité. Ces derniers n’ont toutefois pas été renouvelés. Les marchands actuellement en activité sont fragilisés par leur dépendance vis-à-vis d’une clientèle internationale aléatoire que l’on retrouve également à Monaco.
Selon les données de la Chambre nationale des commissaires-priseurs, la région Sud-Est occupait en 2001 la seconde place derrière Paris, avec un chiffre d’affaires de 293,6 millions d’euros. Ce volume repose davantage sur la vigueur de la place lyonnaise que sur celle de Marseille, en 7e position dans le classement national des villes, ou encore de Nice, en 23e position. La physionomie du marché entre la Provence et la Côte d’Azur est aussi différente. Les ventes publiques niçoises présentent parfois du haut de gamme. Un meuble de Jean-Michel Frank et Adolphe Chanaux gainé de galuchat s’est ainsi vendu 675 430 euros en octobre 2001, à Nice, par l’étude Wetterwald, Rannou-Cassegrain. Cette société, dont le chiffre d’affaires était en 2002 de 7,6 millions d’euros, a été la première de province à obtenir l’agrément du Conseil des ventes. Elle organise deux ventes courantes hebdomadaires et une dizaine de vacations cataloguées par an. Outre la clientèle marchande habituelle, le taux de fréquentation des étrangers n’est pas négligeable. “Les Italiens représentent 15 % de notre clientèle. Si l’on tient compte des marchands, on devrait dire plutôt 80 %. Les Niçois ne se déplacent que pour les ventes de prestige. Ils aiment surtout le mobilier en acajou Louis-Philippe et les meubles Napoléon III”, explique Patrick Rannou-Cassegrain.
À Marseille, le marché local s’oriente essentiellement vers les créations du cru comme la peinture provençale, les meubles régionaux ou la faïence locale. “Le drame de Marseille, c’est qu’aucune grande collection ne s’y vend. Il n’est pas normal que l’on n’y vende pas de tableaux orientalistes ou de l’art africain. Les ventes publiques souffrent d’une faiblesse du support local. La ville manque cruellement d’antiquaires”, déplore le commissaire-priseur Pascal Berquat.
Christie’s avait ouvert en 1986 un bureau à Aix-en-Provence pour prospecter les collections de la région. “Lorsque je suis arrivée, j’avais un fichier de 2 000 clients, à 90 % locaux. Il y avait un vrai potentiel de vendeurs. Je trouvais peu de collections entières mais, de manière isolée, des tableaux et des dessins importants, qui étaient envoyés à Londres. Le bureau représentait en moyenne 2,2 millions d’euros de ventes annuelles”, rappelle Fabienne Albertini-Cohen, restée depuis la fermeture du bureau en 2002 correspondante de Christie’s à Aix-en-Provence. Elle avait notamment réussi à décrocher la collection avignonnaise Théodore-Aubanel, dispersée en 1998 à Monaco avec un produit de 7,6 millions de francs.
Côté antiquaires règne une certaine atonie. Voilà une dizaine d’années, deux pôles d’antiquaires étaient actifs autour d’Aix-en-Provence et d’Avignon. “En 1986, on comptait au bas mot 30 à 50 antiquaires, certains de grande réputation comme Marcel Puech en Avignon ou Raphaël Chiappetta à Aix. De nombreux antiquaires ont malheureusement été fauchés par le sida. Ceux qui les ont remplacés se sont déplacés vers l’Île-sur-la-Sorgue (Vaucluse), avec une optique de décoration plus que d’antiquité”, constate Fabienne Albertini-Cohen. La Côte d’Azur est également affectée par cette pénurie de marchands de haut niveau. “À mes débuts à Antibes en 1966, j’avais des confrères de qualité comme Jean Solari. Aujourd’hui, à Nice ou à Cannes, il n’y a plus un seul antiquaire spécialisé, avec une marchandise destinée à des particuliers. Les transactions se font entre marchands”, observe également l’antiquaire Jean Gismondi. Installé à Paris depuis 1981, ce dernier a mis sa galerie méridionale en veille depuis cinq ans. “Depuis trois ou quatre ans, le marché est devenu difficile. La clientèle locale est inexistante. Contrairement à ce qu’on pense, durant la période estivale, les gens n’achètent pas”, avoue Jean-Louis Fourès, directeur de la galerie tropézienne Suffren, qui a fermé l’an dernier sa vitrine pour ne plus travailler que sur rendez-vous. La recrudescence des vols dans le Sud, l’attrait croissant des ventes publiques ne suffisent pourtant pas à expliquer l’anémie des marchands et la déperdition d’une clientèle de professions libérales autrefois active. “Le goût de la Côte d’Azur n’a jamais été à l’antiquité. On aime davantage les pièces de décoration, plus légères, pour meubler des résidences secondaires”, estime Fabienne Albertini-Cohen.
“Une marchandise spectaculaire et décorative”
La clientèle des galeries de la Côte d’Azur reste majoritairement étrangère et saisonnière. Cosmopolite, elle compte aussi bien les voisins transalpins, les “Nouveaux Russes” que les riches Moyen-Orientaux. “Les Américains représentent 40 % de ma clientèle contre 25 à 30 % pour les Anglais. Les Italiens représentaient, voilà encore cinq ans, l’essentiel de mes clients. Maintenant, ils ne comptent plus que pour 10 %. Cette clientèle de passage cherche une marchandise spectaculaire et décorative”, déclare l’antiquaire niçois Alain D’Amato. Assujettis à cette manne étrangère, les marchands souffrent des aléas de la conjoncture internationale. De fait, ils se regroupent souvent dans les salons méridionaux, le plus renommé étant celui d’Antibes lancé il y a trente et un ans par Jean Gismondi.
À quelques encablures, le Rocher monégasque semble offrir un terreau plus amène. Jusqu’à l’ouverture du marché français aux sociétés de ventes étrangères, Sotheby’s et Christie’s (respectivement depuis 1975 et 1985) y canalisaient leurs ventes de prestige. Les années fastes, Sotheby’s affichait un chiffre d’affaires de 60 millions d’euros (1990) et un rythme d’une dizaine de ventes. En 1999, la maison se contentait de deux sessions et d’un produit de 13 millions d’euros. Le chiffre annuel de Christie’s variait quant à lui entre 2 et 5 millions d’euros. Détrônée par Paris, Monaco est aujourd’hui en veille. Christie’s envisage pourtant d’y organiser des houses sales [ventes de maisons] de la Côte d’Azur et éventuellement des ventes de bijoux. Le commissaire-priseur parisien Jacques Tajan continue d’y tenir le marteau l’été. On y trouve par ailleurs quelques bons antiquaires comme Adriano Ribolzi ou la galerie Sapjo. Une Biennale des antiquaires composée d’une trentaine d’exposants y a aussi élu domicile depuis 1975. Pourquoi à Monaco plutôt que sur la Côte d’Azur ? “On a épousé le mouvement des grands joailliers. Ces derniers ne vont pas à Cannes ou à Saint-Tropez, mais à Monaco”, déclare Jacques Perrin, organisateur de la Biennale, qui se déroulera cette année du 1er au 17 août. Et de moduler : “On fait 40 % du chiffre du salon avec les habitués et, pour 60 %, c’est la surprise. Dans le Sud, la clientèle est très aléatoire. Un client sur deux ne revient que trois ou cinq ans plus tard.” Monaco tire encore son épingle du jeu, mais au prix d’un funambulisme haut de gamme.
- SVV Hôtel des ventes Nice-Riviera, Yves Wetterwald & Patrick Rannou-Cassegrain, 50 rue Gioffredo, 06000 Nice, tél. 04 93 62 14 71 - Étude Pascal Berquat, Hôtel des ventes Castellane, 41 rue Falque, 13006 Marseille, tél. 04 91 81 10 81 - Alain D’Amato, expert, 5 rue Antoine Gautier, 06300 Nice ; tél. 04 93 55 18 08 - Jean Gismondi, antiquaire, Les Remparts, 06600 Antibes, tél. 04 93 34 06 67 (en août seulement) - Adriano Ribolzi, antiquaire, 3 et 7 avenue de l’Hermitage, 98000 Monaco, Principauté de Monaco, tél. 377 97 97 03 77 - Pascal Moufflet, antiquaire, 5 rue Antoine Gautier, 06300 Nice, tél. 04 93 26 11 01 - Galerie Suffren, 23 place de la Garonne, 83990 Saint-Tropez, tél. 04 94 97 84 63 - Galerie Sapjo, 16 boulevard des Moulins, 98000 Monaco, Principauté de Monaco, tél. 377 93 50 54 34 - Galerie Hurtebize (peinture ancienne), Le Gray d’Albion, 17 La Croisette, 06400 Cannes, tél. 04 93 39 86 84 - Galerie Marie-Christine Sprugnoli (bijoux), 48 rue de France, 06000 Nice, tél. 04 93 87 59 20
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Un marché de l’art tributaire d’une clientèle internationale
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°172 du 30 mai 2003, avec le titre suivant : Un marché de l’art tributaire d’une clientèle internationale