Méliès, c’est un nom, et une légende assez floue des débuts du cinéma, construite essentiellement sur
Le Voyage dans la lune, de 1902 ; à l’occasion du centenaire de ce film, une exposition recentre l’exploration rétrospective autour de la relation magie-cinéma. Cette sage orientation évite le dévidage de films aux effets répétitifs, et permet sans doute de comprendre la marginalité de Méliès dans le cinéma de son temps. Mais elle n’échappe pas à deux écueils : comment exposer la magie et comment exposer le cinéma ?
La relecture nécessaire des débuts du cinéma entraîne diverses attitudes qui ont du mal à se départir de l’hagiographie de mise pendant tout le XXe siècle, quand il s’agissait de convaincre que les pionniers d’un “art” devenu majeur étaient tous des artistes de génie. Cette exposition “Méliès” n’échappe pas à la règle, d’autant que l’artiste lui-même n’avait rien fait pour passer à la postérité, détruisant tous ses négatifs et tirages en 1923. Sans doute, ayant le rire facile, s’amuserait-il de se voir qualifié là de “génie du trucage cinématographique” qui “dépasse en virtuosité les effets spéciaux d’aujourd’hui”. Diable ! (pourrait-on dire en invoquant un de ses sujets récurrents). Pourquoi, a priori, tout ce qui initie une pratique, tout ce qui “essuie les plâtres” d’une technique, serait-il pionnier, précurseur, inventif et admirable ?
Le propos général de l’exposition, heureusement, est ailleurs que dans ces qualificatifs exagérés : car il s’agit aussi de voir d’où vient Méliès ; il est avant tout illusionniste, et il le restera à travers sa production cinématographique, jusqu’à l’usure. Enfant de la bourgeoisie (son père possède une manufacture de chaussures de luxe), il est, en tant qu’illusionniste, le successeur de Robert Houdin, dont il rachète le théâtre en 1888. Très tôt en contact avec les Lumière et leur cinématographe, il fait une projection de film dès le 5 avril 1896 et tourne la même année une bande de 20 mètres dont le titre dit assez le lien avec ses propres spectacles : Escamotage d’une dame chez Robert Houdin, et signe son premier trucage puisque l’escamotage est tout simplement l’effet de l’arrêt temporaire de caméra (ou la subtilisation d’un morceau de pellicule par le montage). Il intègre alors ces minispectacles sur écran à ses présentations du Théâtre Robert-Houdin, puis se lance rapidement dans une production dont il vend les copies, jusqu’aux États-Unis (où il vaut mieux être présent pour éviter le piratage). À partir de 1902, son frère Gaston l’y représente ; il produit alors deux négatifs de chaque film. L’histoire de la production de Méliès est celle de tous ces petits indépendants qui tentent de se faire une place par la diffusion auprès des forains, une histoire de standards techniques, de sociétés commerciales (association avec le cartel d’Edison en 1908), de procès, de succès et de déroutes non moins rapides. Méliès construit des studios à Montreuil, écrit ses scénarios, dirige sa caméra, conçoit ses “trucs”. Quelque 500 films seront produits entre 1896 et 1912 : ce n’est pas la guerre qui contrecarre cette activité, mais la rapide désaffection du public pour la fantasmagorie drolatique, détrônée par le cinéma documentaire, par la réalité sans illusion en quelque sorte. Les débats sur la nature foncière du cinéma, et les préférences esthétiques, ne faisaient que commencer.
Dans ce monde où Lumière, Pathé, Gaumont sont dominants, la particularité de Méliès est ce répertoire de l’illusion qui trouve dans le cinéma le médium de sa maîtrise, puisque tout y est illusion et image, il n’y a que la pellicule qui existe matériellement. La moitié de l’exposition est consacrée à ce rappel de l’imaginaire magique de Méliès, à partir d’affiches, de documents, d’objets de prestidigitation et d’automates. Mais lorsque l’on passe à la partie “cinéma”, le hiatus est constant, malgré la présence de rappels féeriques comme le miroir sans tain, ou le buste truqué (apparition optique). On est bien loin, tout de même, des “collages surréalistes” invoqués. Pour le spectateur moderne, qui peut difficilement s’abstraire de tous les vrais grands films qu’il a vus, ce cinéma-là ne fait plus illusion, le regard se lasse vite devant des gesticulations ponctuées d’effets d’apparition-disparition, d’écrans de fumée, de surimpressions de pellicule, dont on voit tout de suite les ficelles, par avance même. Sans compter les décors assez pesants et si peu illusionnistes. Ne pouvait-on pas expliquer, par une présentation plus pédagogique, ces techniques de trucage, puisqu’elles sont si simples et basiques, plutôt que d’en vanter les mérites illusoires et surannés ?
On a été cependant assez sage pour ne pas abuser des films projetés dans plusieurs espaces et sélectionner les plus spécifiques : Le Chaudron infernal, Le Diable au couvent, L’Homme à la tête de caoutchouc (grandissement par rapprochement de la caméra), Le Mélomane (le visage de Méliès sert de notes de musique), Le Cake-walk infernal, Le Thaumaturge chinois, La Femme volante, Le Palais des Mille et une nuits, et bien sûr, Le Voyage dans la lune. On est en droit de trouver tout cela ingénieux, et même drôle, mais il est à craindre que même les enfants d’aujourd’hui, qui en ont vu d’autres, soient assez réfractaires. Le plus intéressant, finalement, ce sont peut-être les photographies de scènes des films (qui avaient fait l’objet jadis d’une exposition), plus décalées des aléas techniques et du vieillissement du matériau, trop perceptibles sur des films tremblotants et rayés, des photographies “de tournage” à la fixité plus évocatrice d’étrangeté que les saynètes fébriles dont elles sont issues. Comme souvent dans ce genre de manifestation, l’exposition est le support à la publication d’un catalogue, dans lequel se trouvent beaucoup plus de réponses aux questions posées, avec de bonnes études sur la biographie et les réalisations de Méliès, et la publication de nombreux documents.
- Méliés, magie et cinéma, jusqu’au 31 août, Espace Electra, 6 rue Récamier, 75007 Paris, tél. 01 53 63 23 45, tlj sauf lundi et jours fériés, 12h-19h. Catalogue : Méliès, magie et cinéma, sous la direction de Jacques Malthête et Laurent Mannoni, Paris-Musées, 280 p., 150 illustrations, 39 euros, ISBN 2-87900-598-1.
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Un magicien au service du cinéma
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°152 du 28 juin 2002, avec le titre suivant : Un magicien au service du cinéma