Depuis le début des années vingt, les musées sont payants en France. Pour Françoise Cachin, directrice des Musées de France et présidente de la Réunion des musées nationaux, cette pratique – loin d’être élitiste, grâce à ses régimes d’exonération – donne au contraire les moyens aux établissements d’enrichir les collections publiques et d’assumer leurs responsabilités éducatives, qui constituent les véritables conditions d’une démocratisation de la culture.
La tarification des entrées est maintenant bien établie en France. Est-ce pour autant un bon système, comparé à celui de la gratuité ?
Le fait d’imposer un droit d’entrée dans les musées ne me choque absolument pas. D’une part, il existe de nombreux régimes d’exonération et de modulation des tarifs qui offrent aux personnes intéressées des solutions économiques adaptées. D’autre part, cette petite participation financière de chaque visiteur permet aux établissements d’assumer leurs multiples responsabilités. Les musées ne sont pas là uniquement pour montrer leurs collections permanentes. Ils ont d’autres activités qui impliquent des charges, telles les expositions, les acquisitions, les publications ou les services culturels… Tout cela a un coût. Or, si l’État français aide effectivement les musées nationaux en prenant à sa charge le personnel, en revanche, ces services restent à la charge des musées.
La tarification n’est-elle pas à l’origine d’une surenchère d’activités annexes par rapport à la vocation première des musées – conserver et exposer leur fonds permanent – pour satisfaire un public devenu client ?
Je rejette le terme de “client” appliqué aux visiteurs. Les musées sont des entreprises – c’est une réalité –, mais non commerciales. Toutes ces activités, et notamment celles qui s’adressent aux enfants, font pleinement partie de leur mission publique. De plus, après deux ou trois visites des collections permanentes, on attend quelque chose d’autre, de nouveau. Pour le public de proximité, il est important que les établissements proposent des conférences, des concerts ou des expositions. Sinon, ils risquent de ne plus s’adresser qu’aux touristes.
Le directeur de la National Gallery de Londres soutient justement que la gratuité permet des visites courtes et régulières qui favorisent le public de proximité… Sans compter que son musée propose aussi de nombreuses activités.
Sans nullement remettre en cause la politique dynamique de la National Gallery, je pense que les droits d’entrée nous permettent d’être particulièrement actifs dans ce domaine. Quant au public qui souhaite revenir souvent, il dispose de nombreux moyens, des cartes de fidélité aux sociétés d’Amis de musée. Enfin, il faut bien comprendre que l’Angleterre est un cas à part. La National Gallery – qui est une bien plus petite structure que le Louvre – reçoit une part énorme de son budget de fonctionnement du gouvernement. D’où vient le reste ? Soit du mécénat, que la fiscalité française fait tout pour décourager, soit de donations individuelles à l’entrée de l’institution. Or, personnellement, je ne vois pas la différence entre ces cotisations volontaires et une entrée payante. Le prix est suggéré et le visiteur choisit selon ses moyens : c’est assez proche d’un régime d’exonération. Il serait d’ailleurs intéressant de savoir si les visiteurs ne paient pas en définitive plus cher. Ainsi, à New York, au Metropolitan, la donation moyenne est à peu près alignée sur le tarif moyen du Louvre.
La gratuité n’est-elle pas un outil de démocratisation de la culture ?
Je ne le crois pas du tout, ou alors dans une mesure infime. Nos études d’impact sur “l’Invitation au musée” montrent que les nouveaux visiteurs viennent “par curiosité”, et non pas attirés par la gratuité de la première journée. L’expérience du premier dimanche du mois gratuit au Louvre n’est pas concluante non plus. Le gain en nombre de visiteurs est important, parce que les gens choisissent cette journée en priorité pour venir en famille, n’ayant pas toujours assimilé que les moins de 18 ans ne paient pas de toute façon. Les classes populaires ne représentent, ces jours-là comme les autres, qu’un pourcentage très faible du public.
Cette opération, pour laquelle avait été commandée une étude d’impact précise, servait-elle d’expérience pilote ?
Cette opération a été mise en place à la demande de Philippe Douste-Blazy, dans l’espoir d’inciter des publics nouveaux à venir au musée. Si l’expérience s’était révélée très concluante, elle aurait peut-être pu s’étendre à d’autres établissements. Mais les chiffres montrent que cela coûte très cher, pour un bénéfice démocratique très mince.
Quel est le pouvoir de la Direction des Musées de France (DMF) en matière de politique tarifaire, et que préconise-t-elle ?
La DMF préside au conseil d’administration de la Réunion des musées nationaux, mais n’a qu’un rôle de conseil et d’incitation auprès des musées des collectivités territoriales. Nos politiques tarifaires peuvent néanmoins servir de guide, et des réunions sur ce thème sont parfois organisées avec des chefs d’établissements ou certaines directions culturelles territoriales. Nous n’avons rien à imposer, puisque la gestion financière de leurs musées incombe entièrement aux municipalités ou aux départements, ce qui explique le faible taux (2 %) d’institutions gratuites. En revanche, je suis très attachée à la possibilité pour les moins de 18 ans d’entrer librement dans tous les musées. C’est le moment où se créent les habitudes. L’effort doit porter en priorité sur les scolaires. Il me semblerait par exemple plus utile d’avoir les moyens de rétablir la gratuité des visites-conférences que d’offrir des jours gratuits. La formation par des enseignants spécialisés, des historiens de l’art en particulier, constitue aussi un volet essentiel de la démocratisation de la culture. Un projet malheureusement en panne pour l’instant.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°61 du 22 mai 1998, avec le titre suivant : Un coût élevé pour un effet incertain