PARIS
Sur décision de la cour administrative d’appel de Paris, l’arrêté ayant inscrit la tombe comprenant Le Baiser de Brancusi au titre des monuments historiques a été annulé.
Paris. N’ayant attiré principalement que le regard des passants pendant près d’un siècle, Le Baiser de Constantin Brancusi fait, depuis l’explosion de sa cote sur le marché de l’art, l’objet d’une vive bataille juridique entre l’État français et les ayants droit d’une jeune exilée russe, Tatiana Rachewskaïa, morte en 1910.
Dissimulée derrière des planches en bois depuis quelques années, cette œuvre emblématique qui représente les corps sensuellement enlacés de deux amants orne la sépulture de cette jeune femme, suicidée par amour et enterrée dans une concession perpétuelle au cimetière du Montparnasse à Paris.
Retrouvés par le marchand d’art Guillaume Duhamel, les ayants droit souhaitent désolidariser la sculpture de la tombe pour la récupérer puis la vendre aux enchères par l’intermédiaire de l’étude Millon. Or, aux yeux de l’État, Le Baiser présente un intérêt majeur pour le patrimoine national. Raison pour laquelle l’œuvre fut considérée en 2006 comme « trésor national » par le ministre de la Culture, autorisé ainsi à refuser le certificat d’exportation demandé.
Puis par un arrêté de 2010, le préfet de Paris a inscrit la tombe dans sa totalité – c’est-à-dire la sculpture avec son socle formant stèle funéraire –, en tant qu’immeuble par nature, au titre des monuments historiques, ceci afin de permettre à cet ensemble de bénéficier d’un régime protecteur. En effet, pour le préfet, « la conservation du groupe sculpté “Le Baiser” réalisé par Constantin Brancusi en 1909 et installé sur la tombe de Tatiana Rachewskaïa à son décès en 1910, présente du point de vue de l’histoire et de l’art un intérêt public en raison d’une part, de sa place essentielle dans l’œuvre de Brancusi et de sa qualité intrinsèque qui en fait une œuvre majeure, d’autre part de son intégration à l’ensemble de la tombe avec son socle constituant stèle funéraire portant épitaphe gravé et signé par Brancusi ». C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé le préfet aux requérants, lorsqu’il a rejeté, en 2016, leur demande de travaux et leur recours gracieux.
Mais, pour la société Duhamel Fine Art, la société Millon et les ayants droit, la sculpture constitue un bien devenu immeuble par destination et non pas un bien immeuble par nature. C’est pourquoi, considérant que le préfet avait commis une erreur de qualification juridique et une erreur de droit en procédant à l’inscription de la tombe dans son intégralité au titre des monuments historiques, ils ont saisi le tribunal administratif de Paris afin d’obtenir l’annulation des actes litigieux.
Le 12 avril 2018, le tribunal administratif de Paris a toutefois rejeté leurs demandes. Pour les juges, aucune erreur de droit ou de qualification juridique n’avait été commise par le préfet. Les requérants ont alors saisi la cour d’administrative d’appel de Paris afin qu’elle statue de nouveau sur la légalité de l’arrêté de 2010 et des décisions de 2016. C’est ainsi que le 11 décembre 2020, à l’aune de nouvelles pièces démontrant que l’œuvre est dissociable, le jugement pour la partie rejetant les conclusions des ayants droit ainsi que l’arrêté et les décisions prises sur son fondement ont été annulés.
Selon la cour, pour bénéficier de l’inscription au titre des monuments historiques en application de l’article L.621-25 du code du patrimoine, « un bien mobilier doit avoir été conçu aux fins d’incorporation matérielle à cet immeuble, et y être incorporé au point qu’il ne puisse en être dissocié sans atteinte à l’ensemble immobilier lui-même ». Or, en l’occurrence, la sculpture réalisée en 1909 a été placée ultérieurement sur la tombe de la défunte, en 1911 précisément, à l’initiative de son fiancé, ami du sculpteur, et avec l’accord de ce dernier. En outre, l’épitaphe et le nom de Brancusi sur la stèle funéraire ne seraient pas de la main de l’artiste ; des factures d’un marbrier sculpteur de l’époque étant versées aux débats.
Dès lors, constatant que Le Baiser n’avait pas été conçu dès l’origine pour agrémenter la sépulture et que l’œuvre n’était pas incorporée à celle-ci « à un degré tel qu’elle ne puisse en être dissociée sans qu’il soit porté atteinte à l’ensemble lui-même ni à l’intégralité de l’œuvre elle-même », la cour a jugé que le préfet avait commis une erreur de qualification juridique emportant annulation de son arrêté de 2010 et des décisions ultérieures de 2016.
Parallèlement, la cour a enjoint au préfet de Paris de procéder au réexamen de la déclaration de travaux à intervenir sur Le Baiser dans les trois mois suivant la notification de l’arrêt et a condamné l’État à verser aux ayants droit la somme de 6 000 euros au titre des frais de justice.
Achetée 200 francs de l’époque à Brancusi par la mère de Tatiana Rachewskaïa, cette sculpture serait estimée aujourd’hui plusieurs millions d’euros.
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Ultime rebondissement dans l’affaire du Baiser de Brancusi
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°560 du 5 février 2021, avec le titre suivant : Ultime rebondissement dans l’affaire du « Baiser » de Brancusi