D’habitude, sur tous les portraits, Tatiana Trouvé apparaît systématiquement avec Sarah, impressionnant rottweiler noir d’une tendresse maladroite et compagnon fidèle qui accompagne (presque) partout l’artiste depuis quatre années. Sur cette image, elle savoure à peine sa victoire annoncée à la Fiac. Elle incarne le nouveau prix Duchamp, comme l’évident symbole de cet art français cosmopolite enclin à accueillir les talents de toutes parts, l’une des plus belles réussites de la décennie.
Bureau des Activités Implicites
À trente-neuf ans, cette Italienne née à Cosenza a passé son adolescence à Dakar, puis a étudié à la villa Arson à Nice, avant d’en être arrivée là. Depuis, elle vit et travaille à Paris, mais expose partout dans le monde, trois biennales de Venise de suite, sélectionnée pour les expositions internationales, et rien que trois galeries, une à Berlin (Johan König), une à Bruxelles (Almine Rech), une à Miami (Emmanuel Perrotin), mais aucune à Paris depuis son départ en 2005 de la galerie Nathalie et Georges-Philippe Vallois. Il y a comme un signe, une volonté de penser une conquête internationale. Le prix Duchamp, c’est comme une cerise sur le gâteau pour elle, déjà lauréate du prix Ricard en 2001. Son parcours est décidément sans faute.
Pourtant, lorsqu’elle sort de l’école et qu’elle se met à chercher un atelier, du travail, les certitudes s’estompent pour cette jeune femme à l’accent délicieux, ni vraiment italien, pas complètement définissable non plus. De ses lettres de refus, de motivation, de cette période à inventer son art dans sa tête faute d’avoir un espace de travail, elle met en place mentalement les pièces d’un puzzle qui prendra forme à partir de 1993 dans son Bureau des Activités Implicites, le BAI.
Entreprises fictionnelles
À partir de là, Tatiana Trouvé se transforme en bâtisseuse, élabore des modules architectoniques à thèmes, douze au total. Elle y accumule des dessins, des mémos, des bribes de petites annonces, des photomatons, des passeports. Depuis ce temps bureaucratique généré par une frustration positive, elle s’est mise à construire des polders, microsociétés secrètes et intuitives, sortes d’apparitions mentales autarciques. Elle voit de plus en plus grand et déploie ses architectures à taille d’enfant sur des surfaces toujours plus complexes pour des spectateurs s’abandonnant aux tourments proposés.
Le milieu anxiogène qu’elle parvient à créer en agençant des appareillages médicaux, des rochers cadenassés, des conduites de cuivre tordues ou des prises électriques alambiquées, séduit autant qu’il déstabilise. Hantée, cette entreprise fictionnelle donne l’impression de déambuler dans un cerveau et dans les recoins d’une mémoire que la jeune femme nourrit intensément de lectures, de Borgès à Calvino, de Buzzati au Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistres (1794).
Tatiana Trouvé a trouvé depuis longtemps sa voie, sans que son issue soit pour autant déjà écrite, mais sa volonté sans faille, son humanité joyeuse et son brillant intellect, l’ont déjà amenée bel
et bien loin.
1968 Naissance à Cosenza (Italie). 1985 Elle intègre directement en deuxième année la villa Arson (Nice). 1997 Depuis cette date, Tatiana travaille sur un ensemble évolutif”‰: le Bureau des Activités Implicites. Première exposition personnelle. 2001 Prix Ricard. 2002 Exposition « Polders » au Palais de Tokyo. 2007 Lauréate du prix Marcel Duchamp. Elle exposera une œuvre originale à l’espace 315 du Centre George Pompidou en 2008.
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Tatiana Trouvé
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°597 du 1 décembre 2007, avec le titre suivant : Tatiana Trouvé