Szeemann conquiert Venise

Les nouveaux directeurs de la Biennale sont nommés

Le Journal des Arts

Le 28 août 1998 - 820 mots

Le commissaire d’exposition suisse Harald Szeemann vient d’être nommé pour quatre ans à la tête des Arts visuels de la Biennale de Venise. L’organisme vénitien « Società di cultura » – après la réforme Veltroni – a également choisi une autre étrangère, l’Américaine Carolyn Carlson, pour diriger le tout nouveau secteur de la Danse. Elle sera la première femme à diriger un département de la Biennale. Enfin, le Romain Massimiliano Fuksas remplace Hans Hollein à la direction de l’Architecture.

VENISE (de notre correspondant) - Le président de la Biennale de Venise, Paolo Baratta, souhaite respecter les objectifs du nouveau statut de l’institution en intensifiant la coopération entre les différents secteurs : arts visuels, danse, architecture, cinéma, théâtre et musique. Par ailleurs, il est aujourd’hui fortement question de créer un département de poésie. Harald Szeemann, contacté aussitôt après sa nomination, a confirmé cette vocation interdisciplinaire. Il travaillera ainsi aux côtés de Carolyn Carlson, la danseuse et chorégraphe qui a déjà à son actif, outre ses collaborations avec John Sturman, Barre Philips et les compagnies de John Davis et Anne Béranger, l’organisation de deux manifestations importantes à Venise, en 1980 et 1985, à la Fenice. Szeemann collaborera également avec Massimiliano Fuksas, architecte et urbaniste actif à Berlin et à Salzbourg comme consultant administratif et qui a également récemment travaillé au Moyen Orient pour le compte du “Centre pour la paix” patronné conjointement par Israël et par l’État palestinien. Spécialiste des scénographies, Fuksas a travaillé aux côtés de Jean Clair à la Biennale de 1995 et pour la Quadriennale de Rome en 1996.

“L’art doit absolument retrouver son essence spirituelle”, a déclaré Szeemann, avant que les directeurs ne prennent la décision, au cours de l’été, de ne plus accorder d’entretien, jusqu’en septembre, attendant que Paolo Baratta “lance” officiellement la prochaine Biennale. Spiritualité ou non, il est clair que la Biennale version Szeemann sera très différente de celle de son prédécesseur, Germano Celant. “Souple et mobile”, comme aime à se définir le nouveau directeur, en paraphrasant Fidel Castro, il conçoit l’activité du conservateur comme une succession d’événements créateurs visant à la réalisation d’un processus de projet global résolument “an-historique”. Âgé de soixante-cinq ans, Szeemann a été étudiant en histoire de l’art, en archéologie et en journalisme, dans les universités de Berne et de Paris ; il a également été acteur de théâtre et peintre. Sa personnalité très versatile et pittoresque est fort différente du man in black qu’est Celant, avec des penchants libertaires non dissimulés. Sa résidence de Tegna – qu’il a baptisée le “Musée des obsessions” –, dans le canton du Tessin, à deux pas du Monte Verità, abrite, entre autres, d’immenses archives sur l’anarchie. Sa théorie de “l’art total” en fait l’un des prophètes du nomadisme culturel : sa première exposition, à Saint-Gall en 1957, était consacrée au rapport entre poésie et peinture. “À la recherche de l’art total”, il s’est lancé en 1983, pour la Kunsthaus de Zurich – dont il est conservateur indépendant depuis 1981 –, dans un gigantesque panorama interdisciplinaire allant de Wagner au contemporain. Plus récemment, il a conçu l’exposition itinérante “l’Autriche visionnaire” et a été le commissaire de la dernière Biennale de Lyon, dont le thème était “l’Autre”.

Un “roi Midas” passéiste
Parmi les étapes fondamentales de sa carrière, il faut mentionner qu’il a été à la tête de la Kunsthalle de Berne de 1961 à 1969, qu’il a quittée après la fameuse exposition “When Attitudes become Form”. Il a été directeur de la Documenta V à Cassel, en 1972, conçue comme une “enquête sur la réalité”, allant de l’art conceptuel alors dominant aux gloires à venir telles que Penck, Immendorff et Gerhard Richter, de l’inéluctable Beuys à Paul Thek, de Fluxus aux “actionnistes” viennois et à l’art vidéo. La manifestation était accompagnée d’un catalogue-objet conçu comme un livre d’artiste.

À Venise, le nom de Szeemann a commencé à circuler à partir de 1995, à l’occasion de la Biennale du Centenaire qui avait été dirigée pour la première fois par un non-italien. Déjà, en 1980, Szeemann avait été, avec Achille Bonito Oliva, à l’origine de la première édition d’“Aperto”, la section consacrée aux artistes émergents, passée des Greniers à Sel à la Corderie puis supprimée lors des deux dernières Biennales.

Certains observateurs acides ont déjà qualifié cette nomination de “passéiste”, soulignant que Szeemann appartient à l’avant-dernière génération de conservateurs, tandis que la dernière Documenta – à la fréquentation record – avait été confiée à la quadragénaire Catherine David. Reste que Szeemann était le seul Européen prestigieux actuellement disponible face aux Américains. Le “roi Midas” – ainsi surnommé en raison de son énorme influence sur la carrière de “ses” artistes – sera donc responsable des deux Biennales les plus difficiles, celles qui devront prouver que les nouveaux statuts permettront de moderniser une institution en crise profonde, à la fois de public et d’idées, à la lumière des “activités permanentes” annoncées en partenariat avec le musée d’art contemporain à venir.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°65 du 28 août 1998, avec le titre suivant : Szeemann conquiert Venise

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