La réouverture des Arts décoratifs permet de mesurer les forces et les lacunes de sa collection du xxe siècle, dont l’enrichissement repose souvent sur la seule générosité des donateurs.
Si l’époque héroïque des fondateurs a permis un enrichissement important des collections, la manne fut plus maigre après la Seconde Guerre mondiale. Malgré l’activisme productif d’Hélène David-Weill, présidente des Arts décoratifs, les dix ans de fermeture du musée n’ont pas facilité la tâche. Le musée doit aussi compter avec la concurrence du Musée national d’art moderne, lequel dispose d’un budget plus conséquent.
La force de la section Art déco tient à sa diversité, favorisant des dialogues pertinents entre le néotraditionalisme hérité du xviiie siècle et le courant moderniste sur lequel s’est plutôt concentré Beaubourg. Le musée de la rue de Rivoli peut aussi se targuer d’une présentation historique alors que le fonds design du Centre Pompidou est tributaire des accrochages. Il peut, de fait, en être exclu, comme c’est le cas dans l’accrochage de Beaubourg « Le mouvement des images ».
Malgré la présence d’une seule pièce de Georges Jouve dans les collections, les arts du feu forment un des points forts du musée pour les décennies 1900-1950. Si Jacques-Émile Ruhlmann et Armand-Albert Rateau se taillent la part du lion avec des pièces majeures, Jean-Michel Frank n’apparaît toutefois que via deux petites tables en sycomore et parchemin ayant appartenu à l’écrivain François Mauriac. Avis aux donateurs !
L’ensemble des années quarante reste encore maigre, malgré quelques achats récents comme une table de Gilbert Poillerat, acquise en 2004 grâce au Fonds du patrimoine. Dans un panorama où l’artisanat domine plus que l’industrie, la section design n’est pas exempte de lacunes, dues sans doute au départ du Centre de création industrielle (CCI) au Centre Pompidou en 1977.
Un espace de présentation cinq fois plus grand
Pour remédier aux manques, Béatrice Salmon, directrice du musée (lire interview p. 17), et Dominique Forest, responsable des collections contemporaines, ont entrepris depuis six ans une politique de séduction et de fidélisation envers les éditeurs et les créateurs. Elle portera peut-être ses fruits à long terme. Rappelons que Jean Royère n’avait consenti à des donations qu’un an avant sa mort !
Les nouvelles présentations pourraient d’ailleurs amadouer les mécènes. Alors qu’avant la fermeture, le xxe siècle était à l’étroit dans 500 m2, il respire désormais dans 2 500 m2. Le nombre d’œuvres montrées est du coup spectaculairement revu à la hausse avec environ 2 000 pièces sur un fonds xxe d’environ 6 000 objets. Ponctué de quatre reconstitutions, le parcours chronologique s’autorise des échappées thématiques dans les galeries d’études.
Bien qu’excentré par rapport au parcours des collections, le saut dans l’Art nouveau implique un passage par le salon du bois en platane d’Algérie, reconstitution d’une partie du pavillon de l’Union centrale des Arts décoratifs à l’Exposition universelle de 1900. Cette salle de 250 m2, conçue à l’origine par Georges Hoentschel, comporte plusieurs éléments mobiliers du pavillon d’origine et une vitrine remplie d’objets contemporains de cette période, tel un hanap en or et émail commandé en 1896 à Lucien Falize.
Il faudra grimper au premier étage pour suivre l’odyssée de cet Art 1900. De grandes vitrines rappellent quelques sources majeures de ce mouvement, de l’historicisme au japonisme avec une sélection de pièces d’Émile Gallé ou des grès émaillés d’Auguste Delaherche et Ernest Chaplet.
L’appartement 1920 de Jeanne Lanvin reconstitué
Deux figures de l’Art 1900 sont à l’affiche avec des ensembles tardifs. Il s’agit de la salle à manger réalisée en 1904-1905 par Gallé pour l’Hôtel Hannon à Bruxelles et la chambre à coucher conçue en 1903 par Hector Guimard pour l’hôtel particulier de l’industriel Léon Nozal. La suite privilégie la production de Louis Majorelle, avec notamment un piano réalisé avec Victor Prouvé en 1903. Les meubles d’Eugène Gaillard permettent un lien entre l’Art nouveau et les années 1910, marquées par un retour à la tradition.
« À partir de 1990, les acquisitions se sont plutôt portées sur ces années-là. Les prix étaient raisonnables car les recherches étaient encore en cours », observe Évelyne Possémé, responsable de la section Art nouveau-Art déco. La salle à manger de la Compagnie des arts français par Louis Süe et André Mare illustre ce retour à la tradition inspirée de Louis-Philippe. Le point d’orgue revient aux reconstitutions de trois pièces (salle de bains, chambre et boudoir) de l’hôtel particulier de la couturière Jeanne Lanvin, décoré par Rateau entre 1921 et 1924. Cet ensemble, offert en 1965 par Louis de Polignac, époux de Jeanne Lanvin, n’a toutefois été montré qu’en 1985.
Le ton change avec le bureau-bibliothèque conçu par Pierre Chareau pour une ambassade française dans le pavillon de la Société des artistes décorateurs en 1925. Le bureau a rejoint les collections dans la foulée de l’Exposition de 1925, mais les boiseries sont entrées par dation en 2000. Dans une autre salle, le visiteur découvre le chiffonnier anthropomorphe réalisé par André Groult pour la chambre de Madame pour l’Exposition de 1925. Adjugé 2,8 millions de francs dans la vente Nourhan Manoukian en 1993, puis classé Trésor national, il fut racheté six ans plus tard par le musée des Arts décoratifs grâce au Fonds du patrimoine.
De Jacques-Émile Ruhlmann au design contemporain
Les séquences suivantes confrontent les classiques et les modernes. On entrevoit sur le podium transversal le goût de Jacques Doucet avec une chaise africaine en palmier et parchemin de Pierre Legrain. En contrepoint, se déploie un ensemble de onze meubles de Ruhlmann, réalisés entre 1916 et 1933. Une section dédiée aux nouveaux matériaux rappelle l’usage du tube métallique, notamment par Marcel Breuer. Les dissidents de l’Union des artistes modernes (UAM), qui avaient fait sécession avec le Salon des artistes décorateurs pour organiser en 1930 leur premier salon au sein du Musée des arts déco, ferment ce parcours Art déco.
Dans une section fortement mansardée, on retrouve quelques reliquats des années 1940, comme la table de Poillerat. Faute de meubles d’Emilio Terry, le musée possède du moins un fonds d’archives important donné par le décorateur en 1965. Un cabinet d’objets fait la part belle à 70 pièces, notamment de Jean Puiforcat et Jean Besnard, provenant pour certaines de l’Exposition internationale des arts et techniques de 1937. Les années 1950 sont bien représentées, notamment par Jean Prouvé, dont le musée avait orchestré la première exposition en 1964.
La donation de Jean Royère a été complétée par l’achat en 2001 d’une très emblématique applique Liane. Charlotte Perriand, qui avait bénéficié d’une exposition au musée en 1985, apparaît à travers plusieurs meubles, notamment les chaises Ombres de 1955. La circulation des années 1960-1970 met l’accent sur 80 sièges, clin d’œil à l’exposition « Les assises du siège contemporain » en 1968. Sans avoir la portée d’une exposition universelle, cet événement avait valu aumusée un surcroît de donateurs !
Pour la génération des Alessandro Mendini ou Gaetano Pesce et, plus encore, pour les nouvelles attitudes contemporaines des frères Bouroullec ou de Martin Szekely, la présentation repose surtout sur les dépôts du Fonds national d’art contemporain (Fnac). Des dépôts qui devraient aller crescendo.
Informations pratiques Le musée des Arts décoratifs rouvre ses portes le 15 septembre 2006. Ouvert du mardi au vendredi de 11 h à 18 h, samedi et dimanche de 10 h à 18 h. Plein tarif 8 €, tarif réduit 6,50 €. Musée des Arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, Paris Ier, tél. 01 44 55 57 50, www.lesartsdecoratifs.fr
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Splendide, la collection XXe souffre pourtant de carences
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°583 du 1 septembre 2006, avec le titre suivant : Splendide, la collection xxe souffre pourtant de carences