Depuis une dizaine d’années, Sotheby’s aurait mis en vente du mobilier douteux. Deux experts viennent de démissionner, attirant ainsi l’attention sur la politique de recrutement des maisons de vente qui ont tendance à privilégier les spécialistes en marketing plutôt qu’en objets d’art. Pure coïncidence, cette crise naît au moment où Sotheby’s perd un de ses meilleurs collaborateurs, Alexandre Pradère, directeur du département Mobilier, qui rejoindra prochainement le cabinet d’expertise de Marc Blondeau.
LONDRES (de notre correspondante) - L’affaire a éclaté fin août : Sotheby’s a admis avoir vendu deux séries de sièges géorgiens de style, en les présentant comme des originaux, pour un montant de 1,3 million de livres sterling (environ 13 millions de francs). Graham Child, expert, et Jo Friedman, responsable du département Mobilier, ont démissionné, bien que Sotheby’s les ait “blanchis”. Depuis, l’affaire a fait les gros titres du Sunday Times, insinuant que des faux étaient régulièrement mis en vente, malgré les mises en garde de certains marchands réputés. Des faux de diverses origines sont apparus sur le marché au cours des dix dernières années, notamment un ensemble de meubles peints originaire de la région de Bath, passé en vente publique en plusieurs épisodes à Londres. Ces copies parfaites ont trompé tant les experts de Sotheby’s que les grands marchands londoniens, comme les galeries Blairmans, Pelham et Jeremy. Ainsi, le bureau de Carlton House, acquis par Pelham Galleries pour 80 000 livres, est passé sans coup férir devant le comité de sélection de la foire de Grosvenor House, pourtant réputé pour sa rigueur. Les autres faux proviendraient du marchand et restaurateur Cook of Marlborough, actuellement poursuivi par Sotheby’s.
Catherine Wilson Cook, codirectrice de la société, a mis en vente chez Sotheby’s deux paires de sièges du fameux ensemble de St. Giles House. La première a été vendue 463 500 livres (4,7 millions de francs), le 8 juillet 1994 à Londres, au milliardaire canadien Herbert Black ; la seconde a été acquise en 1996 par un collectionneur privé pour 837 500 livres (8,3 millions de francs). Herbert Black a le premier mis en doute l’authenticité des sièges. Après avoir fait enlever la tapisserie et le vernis, il a constaté que le bois était parfaitement neuf. Sotheby’s a alors contacté les propriétaires des autres fauteuils, qui se sont également révélés être des faux. La maison de vente a remboursé les deux clients et décidé de poursuivre les vendeurs.
La situation s’est encore compliquée quand sont apparues deux autres séries de fauteuils St. Giles, apparemment identiques aux premiers. La première, mise en vente chez Sotheby’s en 1997 comme pièce authentique, malgré les interrogations de plusieurs personnes qualifiées, a dû être ravalée. Une autre paire, estimée 250-400 000 livres, apparue en 1998 dans une salle de vente provinciale, Dukes of Dorchester, n’a pas non plus trouvé preneur. “Nous avons demandé l’avis d’un expert avant la vente, qui a confirmé qu’il ne s’agissait pas des fauteuils mis en vente par Sotheby’s, a expliqué le porte-parole de Dukes. Il y avait une fente dans l’un des accoudoirs qui n’existait pas dans la paire de Sotheby’s et ils étaient recouverts d’un tissu différent.” Ces fauteuils ne pouvaient donc pas provenir de Cook of Marlborough.
De nombreux acteurs du marché, qui refusent d’être cités, disent maintenant avoir toujours douté de l’authenticité de ces fauteuils. Comment ont-ils pu être mis en vente sans avoir été détectés par les experts de la maison ?
Pression commerciale
De son côté, Christie’s a vendu en juillet deux autres fauteuils St. Giles qui appartenaient au comte de Shaftesbury. Le problème tient au fait que personne ne sait précisément combien de ces fauteuils – vendus depuis 1949, au fil des ans, par les comtes de Shaftesbury – ont été fabriqués à l’origine. Selon Richard Addison, restaurateur chez Plowden and Smith, il est très délicat de réaliser un faux à partir d’un fauteuil de cette époque. Il semble néanmoins que Cook of Marlborough disposait d’une chaise originale en restauration qui a pu lui servir de modèle pour réaliser les copies. Un restaurateur de mobilier, qui souhaite rester anonyme, explique que les faux ont pu être exécutés à partir d’un cadre en hêtre d’époque, de dimensions identiques, de manière que les chaises aient l’air authentiques.
L’origine du problème tient en partie à la pression commerciale pesant sur les départements des maisons de vente, qui doivent à tout prix rassembler les plus beaux lots, mais aussi au volume énorme d’objets qui doit être géré dans un espace et des délais très limités. Les embarras actuels de Sotheby’s ne tiennent-ils pas, en partie, à une politique de recrutement privilégiant le marketing par rapport à l’expertise ? Si Graham Child, l’expert qui a démissionné, avait vingt et un ans d’expérience dans le département Mobilier, ce n’était pas le cas de Jo Friedman, historien de l’architecture de formation, nommé responsable du département il y a trois ans, malgré sa faible connaissance de la spécialité. La décision de Sotheby’s d’engager comme nouveau responsable mondial de son département Mobilier le marchand Simon Redburn, internationalement reconnu et actif depuis 1963, paraît, dans ce contexte, être un choix judicieux.
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Sotheby’s entre deux chaises
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°89 du 24 septembre 1999, avec le titre suivant : Sotheby’s entre deux chaises