Pour son cinquième anniversaire, Art Basel Miami Beach se conforte encore. Retour sur une foire qui a déplacé la géographie de l’art contemporain.
« Art Basel Miami Beach [ABMB] a eu la chance de commencer et continuer dans un marché fort ». Ce constat du galeriste de Miami Frederic Snitzer explique pour une bonne part le succès foudroyant de la foire. Une réussite mesurée notamment à l’aune de ses visiteurs, dont le nombre est passé de 30 000 en 2002 à 40 000 l’an dernier.
L’idée d’une foire à Miami avait germé dès 1995 dans la tête de Lorenzo Rudolf, l’ancienne éminence grise de la foire de Bâle. « La raison était stratégique. Le marché américain devenait de plus en plus dominant et un salon aux États-Unis aurait pu mettre en danger Bâle. Le collectionnisme commençait à s’élargir et il fallait tenir compte du continent latino-américain, explique-t-il. La foire de Miami est devenue une porte d’entrée sur le marché pour beaucoup de nouveaux acheteurs. Un sponsor d’Art Basel [en Suisse] a enfin davantage envie d’être partenaire s’il peut aussi pénétrer le marché américain avec ABMB. »
Un Lunapark pour adultes
En cinq ans, l’événement s’est mu en Lunapark pour adultes sophistiqués dont l’ambiance festive frise la décadence sur un fond de décor en carton pâte. « L’Armory Show [la foire de New York], on y va pour le travail, Miami c’est la fête, le soleil, les vacances avant les vacances », souligne le galeriste Olivier Antoine (Paris), nouvel exposant de la foire. De fait, les visites de collections privées et les parties dans les musées forment le socle du programme, alors qu’à Bâle, l’énergie est plus resserrée sur le salon. L’ouverture des collections des Rubell, de la Cruz et Margulies active d’ailleurs l’émulation ou le « panurgisme » des acheteurs. Jouant sur le poids de ces prescripteurs, les galeries tendent à montrer des œuvres similaires à celles qu’on croise chez ces derniers.
Nonobstant les réserves, liées plus aux dérives du marché en général qu’à la foire en particulier, ABMB s’est imposée en rendez-vous d’hiver des professionnels de l’art. « On n’aurait pas pu mieux réussir, s’enthousiasme Samuel Keller, directeur de la foire en partance l’an prochain pour la Fondation Beyeler. Nous sommes devenus numéro un aux États-Unis et nous avons protégé notre statut de numéro un en Europe. » Le fait qu’ABMB s’autoproclame médaillée d’or n’est pas forcément du goût de l’Armory Show de New York, plombé par une qualité inégale et une organisation brouillonne. « Je ne pense pas qu’une foire puisse dire qu’elle est meilleure que l’autre, tempère Katelijne de Backer, directrice de l’Armory Show. En étant à New York, l’Armory offre aux visiteurs des avantages que Miami n’a pas, par exemple nos grands musées. Mais, je ne peux pas dire que nos plages puissent concurrencer celles de Miami ! » Le développement d’ABMB n’a pas vraiment porté préjudice à l’Armory Show, du moins en terme de fréquentation, puisque l’audience a grimpé de 24 000 visiteurs en 2002 à 52 000 cette année. Le chiffre d’affaires général aurait aussi bondi de 30 à 85 millions de dollars en cinq ans. Pour Samuel Keller, la domination d’ABMB s’exprime pourtant dans la participation massive des galeries, notamment new-yorkaises, dont certaines boudent l’Armory Show comme Andrea Rosen, Marian Goodman et Luhring Augustine. Le développement de ce pôle américain n’a-t-il pas fait perdre à la grande sœur bâloise des collectionneurs américains ? Pas vraiment, mais dans un contexte où le dollar est inférieur de 48 % par rapport à l’euro, il est probable que les Américains préfèrent dépenser leurs deniers à Miami plutôt qu’en Europe. La galerie Nelson Freeman (Paris) profite ainsi de la foire pour renouer avec ses clients nord-américains, notamment canadiens, qui ne sillonnent pas régulièrement l’Europe.
Propections
Le succès d’ABMB n’a pas encore conduit ses organisateurs à essaimer dans le monde à l’instar du Guggenheim. Des prospections ont toutefois été menées en Chine et au Moyen-Orient. « On a été contacté par une vingtaine de villes dans le monde. Notre stratégie est de faire venir les gens à Bâle et Miami et pas de transporter Bâle ailleurs », indique Samuel Keller. Alors que la foire se refuse à bourgeonner, elle a entraîné dans son sillage une floraison de foires off au risque de l’indigestion. Après NADA, Scope, Pulse et Design Miami, le nombre de ces greffes s’élève cette année à... vingt-quatre ! Tout le monde veut sa part du gâteau, y compris les artistes dépourvus de galeries, invités par la nouvelle Gesai Miami, initiée par l’artiste Takashi Murakami. « Miami est la meilleure plate-forme pour ce genre de développement, observe Ambra Medda, directrice de Design Miami, dont Art Basel est devenu actionnaire. De grands espaces vides sont soudain remplis d’œuvres, des bâtiments Art déco complètement oubliés par les riverains sont ravivés par des vernissages et des soirées. » Pour le galeriste new-yorkais Zach Feuer, vétéran de NADA et nouvelle recrue d’Art Nova, « c’est une bonne chose, car on réalise que plusieurs univers parallèles coexistent, ce qu’on tend à oublier au milieu de Chelsea. » Facteur de distraction et de confusion, ce trop-plein de salons pour la plupart médiocres ne nuit-il pas à la solidité d’ABMB en provoquant un dégoût généralisé pour Miami ? « Chaque année, les foires off doublent leur nombre et chaque année on a 99 % de réinscription de nos exposants, réplique Samuel Keller. Les galeries sont contentes de leurs chiffres d’affaires. Avec vingt-quatre foires, les collectionneurs vont voir qu’il faut faire un choix. Lorsqu’on va au restaurant, on ne prend pas non plus tout le menu ! » Il est d’ailleurs à parier qu’au premier coup de froid, les événements parasites fondront comme neige au soleil.
6-9 décembre, Miami Beach Convention Center, www.art baselmiamibeach.com, 12h-20h. - Directeur : Samuel Keller - Nombre d’exposants : 200 - Tarif des stands : 482 dollars le m2 - Nombre de visiteurs en 2006 : 40 000
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Son of the beach
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Abonnez-vous dès 1 €Bien que l’art contemporain reste la dominante, ce nouveau cru renforce la section moderne avec l’arrivée d’Helly Nahmad (New York) et Cazeau-La Béraudière (Paris). « Notre marché est depuis 3 à 4 ans à 50 % aux États-Unis. On ne peut se départir d’une présence d’autant plus qu’on arrête Palm Beach car les nouveaux promoteurs n’ont pas mis en place les éléments nécessaires pour que ce soit un succès. C’est aussi important de donner un coup de jeune à la galerie », observe Jacques de la Béraudière. Celui-ci présente notamment un Kiefer de 2003 et une grande Nana colorée de Niki de Saint Phalle. En fermant le bal tourbillonnant des salons, ABMB peut-il garantir des pièces de qualité quand celles-ci se vendent à tour de bras sur l’année ? Malgré les pressions et tentations, les artistes ne sont pas des ouvriers à la chaîne ! « Les exposants savent qu’ils doivent garder les meilleures pièces parce que la sélection est stricte et l’on n’a pas peur de ne pas réinviter une galerie renommée si elle ne fait pas d’effort », prévient Samuel Keller. D’où l’idée d’Art Nova lancée en 2005, et du nouveau secteur Supernova, destinés tous deux à présenter des œuvres fraîches et vierges. Art Nova, qui encercle le quarteron des grosses huiles du marché, a pris des allures de foire dans la foire en alignant cinquante-huit exposants. Nouvelle recrue du secteur, Jocelyn Wolff (Paris) intronise Isa Melsheimer et Gregory Forstner, récemment acheté par une grande collection allemande et prochainement en résidence aux États-Unis. De son côté Kamel Mennour (Paris) orchestre un dialogue entre Black Cabinet, nouveau film d’animation de Christine Rebet, King Kong Addition de Camille Henrot et un néon de Claude Lévêque. La section Supernova se destine, elle, à présenter dans des stands déconstruits des œuvres de jeunes artistes réalisées en 2007. Une façon d’expérimenter une nouvelle forme d’exposition des œuvres en faisant cohabiter les galeries moyennant des espaces de rangements et des bureaux communs. « C’est l’exemple des jeunes colocataires qui partagent la cuisine et la salle de bains », sourit Samuel Keller. Ancien pilier de NADA, Art : Concept (Paris) mise sur Gedi Sibony et les gouaches en noir et blanc de Philippe Perrot, par ailleurs valorisé dans la collection Rosa de la Cruz et l’exposition « French Kissing » (lire p. 20) au Moore Space. De son côté, Grégoire Maisonneuve (Paris) fait son entrée avec des peintures de Servane Mary, des photos de Samuel Grossmann et une sculpture de Jan Kopp. La foire ne déroge pas au concept pourtant éculé des conteneurs, dont la qualité ces dernières années laissait à désirer. « Je ne me sentirais pas à l’aise si je faisais un stand normal dans un conteneur, admet Malin Ståhl, codirectrice de la galerie Hollybush Gardens (Londres). La meilleure façon de s’en sortir c’est de faire des choses in situ en tenant compte de cet espace. » La galerie donne une carte blanche à Knut Henrik Henriksen, adepte de la dépense minimale d’énergie pour un maximum d’effet. Victor Man, présenté par Zero (Milan), adapte, quant à lui, une installation composée de scotch adhésif, de fourrure et de peintures murales, montrée en galerie en avril dernier. Bien qu’ils s’en défendent, les ordonnateurs doivent bien sentir que le concept bat de l’aile. D’où le lancement du programme Art Perform pour donner du « peps » à ce site en bordure de la plage. L’artiste Roman Ondak joue sur les relations tendues entre la Floride et Cuba en transformant la scène d’Art Perform en zone d’atterrissage d’un parachutiste cubain. À défaut du marché de l’art, une chute est bien programmée le 7 décembre à 17h30 !
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°270 du 30 novembre 2007, avec le titre suivant : Son of the beach