Shaun Tan, l’explorateur

Sans exclure les enfants qui adorent les univers riches qu’il déploie, Tan explore des thématiques moins ludiques comme l’indifférence sociale, l’anxiété et l’exclusion. Offrant par là même des visions rares sinon uniques au pouvoir narratif prégnant. L’illustrateur le plus surprenant de l’hémisphère Sud a ce talent d’aller débusquer l’étrangeté à laquelle notre hémisphère droit cède trop rarement. Celle qu’on affuble avec paresse du réducteur mot « poésie ». Quarante ans à peine et déjà quinze albums, l’Australien collectionne les faits d’armes : le prix du meilleur album au Festival d’Angoulême 2008 pour Là où vont nos pères – pari réussi d’une BD sans texte –, un oscar pour son court métrage d’animation adapté de son album The Lost Thing, et le prix commémoratif Astrid Lindgren – second prix littéraire mondial, après le Nobel de littérature. Tan maîtrise son trait et se méfie des mots, trop pauvres pour traduire ses visions oniriques et polysémiques. Il partage volontiers les secrets de ses personnages imaginaires en prenant soin de ne jamais révéler leur mystère, restant toujours à une distance subtile qui vous permet de rêver avec lui. Stimulant ainsi l’imagination. Soucieux que l’immersion dans son univers soit pour le lecteur une expérience visuelle inédite, riche en émotions, mais sans fioritures, il construit méthodiquement des mondes, avec des logiques crédibles, jusque dans l’ergonomie d’objets pourtant totalement inventés. Dans l’univers singulier qu’il élabore avec une exigence architecturale, réaliste de prime abord, cohabitent avec des motifs parfois très graphiques, presque des signes, d’étranges bestiaires mécaniques ou organiques qui vous emmènent en balade dans votre inconscient. C’est la magie de cet auteur dessinateur hors normes : explorer des idées que vous ne soupçonniez plus. Tan dessine cinquante pour cent de vos rêves pour vous obliger à explorer l’autre moitié.