Entre l’ouverture de la Chine continentale et la crise des bourses asiatiques, des bouleversements majeurs sont en cours dans l’Est asiatique. Le marché de l’art n’en a pas trop souffert pour l’instant, mais une redistribution entre les différentes places est à prévoir. D’ores et déjà, la prééminence de Hong Kong est battue en brèche.
LONDRES - Depuis l’automne dernier, les économies de l’Est asiatique sont en proie à de graves difficultés, moins liées aux problèmes de solvabilité qu’à un manque de liquidités. De même, la mauvaise gestion du secteur privé et les politiques de taux de change sont plus à incriminer que le déficit ou la prodigalité du secteur public. Des taux de change imposés, qui ne correspondent pas aux réalités économiques, entraînent une perte de compétitivité et encouragent les emprunts excessifs à l’étranger. Pourtant, au milieu de ce désordre économique régional, trois systèmes financiers ont mieux résisté que d’autres. Taiwan, Hong Kong et Singapour, bénéficiant d’une base économique solide, sont parvenus à garder la tête hors de l’eau. Quant à l’économie fermée de la Chine continentale, avec ses immenses réserves de devises étrangères, elle semble pour l’instant immunisée. Les marchés boursiers des trois “Tigres” ont traversé plusieurs dépressions depuis 1997, mais au cours de l’année, le marché de Taiwan s’est mieux relevé que celui de Hong Kong qui, en revanche, a largement dépassé celui de Singapour. Des quatre “grandes places commerciales chinoises”, Shanghai et la Chine continentale sont les moins protégées contre les effets à moyen terme de la crise économique. Pour Gordon Barrass, consultant international et observateur pour la Chine chez Coopers & Lybrand, “il faudra beaucoup de temps pour que Shanghai arrive au niveau de Hong Kong. Au moins dix ans auront passé avant que les deux villes puissent même commencer à se faire concurrence.” Et les deux principaux marchés d’exportation de la Chine continentale, la Corée et le Japon, attendent toujours un semblant de reprise.
Où en est le marché de l’art asiatique ?
Le marché boursier et le commerce de l’art sont liés l’un à l’autre, mais pas de façon absolue, comme en témoigne le décalage entre la chute des grandes places boursières à la fin des années quatre-vingt et la crise du marché de l’art deux, voire trois ans plus tard. En termes d’investissement, un spéculateur astucieux peut investir jusqu’à 5 % de son portefeuille dans l’art, et même davantage quand le marché des capitaux à l’étranger devient moins avantageux.
Outre l’indispensable dynamisme économique, d’autres facteurs contribuent à la solidité et à la bonne santé du commerce de l’art. Un marché doit pouvoir atteindre des prix internationaux dans différentes catégories d’œuvres d’art. Pour l’art oriental, Hong Kong est certainement la grande place régionale, et même internationale dans certains domaines comme les céramiques impériales. Taipeh s’est spécialisée dans certains secteurs très précis, comme la peinture à l’huile chinoise, moderne et contemporaine. Colin Sheaf, directeur du département Art chinois chez Christie’s, estime que depuis 1991, les acheteurs de Taiwan se sont montrés autant, si ce n’est plus entreprenants que les collectionneurs de Hong Kong sur la scène internationale.
Cependant, il y a loin de la compétitivité d’un marché de haut niveau, comme Taiwan, et la possibilité pour une région d’attirer les acheteurs internationaux vers son propre marché. Le tableau (voir encadré) indique que les trois “Tigres” ont en commun une économie de liquidités, et que Shanghai et Hong Kong encouragent activement la participation étrangère dans le domaine de la culture. D’un autre côté, malgré ses efforts pour internationaliser sa foire de l’art, Taipeh reste hostile aux marchands étrangers. Et à Singapour, la taxe de 3 % sur les importations (GST) décourage de plus en plus acheteurs et vendeurs, mais ce sont peut-être les diverses restrictions légales en vigueur sur chaque place commerciale, à l’exception de Hong Kong, qui font aujourd’hui pencher la balance en sa faveur. Taiwan et la Chine continentale interdisent l’exportation d’œuvres d’art antérieures à 1795, même si la jadéite et certaines peintures peuvent être légalement exportées du Continent vers Hong Kong, où elles seront mises en vente. Son marché n’est donc nullement entravé par ces mesures. Pourtant, comme l’explique Colin Sheaf, presque toutes les œuvres d’art oriental qui passent dans les maisons de vente de Hong Kong viennent de l’étranger. Une loi garantissant à l’ancienne colonie britannique le statut de port franc pour les cinquante prochaines années n’y est pas pour rien.
Taiwan
Dans la moitié inférieure du tableau concernant les indicateurs secondaires de la viabilité d’une place commerciale, Taipeh arrive en première position toutes catégories confondues, à l’exception d’une seule : la ville n’est pas dotée d’un environnement cosmopolite intéressant pour les investisseurs. Les aides publiques dont bénéficie l’île, ainsi que l’importance donnée à la promotion de la culture locale, sont indéniables, ainsi que l’attestait l’an dernier la présence de Taiwan à la Biennale de Venise. “Les trésors du National Palace Museum”, au Metropolitan Museum of Art de New York, a d’ailleurs été l’exposition la plus fréquentée de 1996. Les musées de Taipeh proposent régulièrement des programmes d’expositions de qualité, et la ville abrite bien plus de galeries que ses concurrentes. Certaines galeries comme Lung Men, Lin and Keng, Pierre, Elegance et Dimensions sont tenues pour les plus grands marchands de la région. En outre, les plus importants collectionneurs de l’île, regroupés sous la bannière de la Ching Wan Society, sont tout aussi passionnés, et peut-être plus engagés, que leurs rivaux de la Min Chiu Society de Hong Kong, même si certains des membres adhèrent aux deux cercles. En termes de développement et de sophistication, Taipeh dispose d’un environnement culturel sans pareil en Asie. Ainsi les récentes expositions “Le paysage dans la peinture occidentale du XVIe au XIXe siècle”, au National Palace Museum, et “L’âge d’or de l’Impressionnisme”, au National History Museum, ont attiré plus de 500 000 visiteurs chacune. Taiwan est en train de devenir le centre le plus demandeur en art chinois, mais elle ne pourra l’emporter sur Hong Kong ni au niveau local, ni au niveau international, en raison d’une loi restrictive sur les exportations, de l’hostilité ambiante face à la concurrence étrangère et d’un environnement peu attractif. Pour éliminer les deux premiers obstacles, il serait facile de modifier la loi sur les exportations et de procéder progressivement à une plus large régulation du commerce par l’Association des galeries de la République de Chine. En revanche, il est peu probable que l’environnement devienne harmonieux et agréable.
Hong Kong
À Hong Kong, les rumeurs vont bon train sur les raisons qui ont poussé plusieurs collectionneurs de la Min Chiu Society à émigrer. Il faut dire que l’accord actuel entre Hong Kong et la Chine est soumis au bon vouloir du gouvernement de Pékin. Par ailleurs, les galeries installées à Hong Kong risquent de se trouver marginalisées dans le domaine de l’art contemporain chinois, puisque les marchands new-yorkais et européens achètent directement à la source, sur le Continent. De plus, installer un commerce à Hong Kong coûte excessivement cher. Le loyer moyen des locaux commerciaux y est le plus élevé du monde : 107 dollars (650 francs) le m2, soit deux fois plus cher qu’à Singapour et donc nettement plus lourd qu’à Shanghai et Taipeh. Un marchand de jades de Taipeh, à la tête d’un commerce de moyenne envergure, nous a déclaré qu’il achetait la matière première à Hong Kong, la faisait sculpter sur le Continent et vendait les produits finis à Taiwan. Colin Sheaf est convaincu que “Taiwan et Hong Kong survivront très facilement, mais il faudra du temps pour que la région de Singapour se redresse.” Mais Shanghai et Taipeh pourraient bien d’ici dix à quinze ans, voire moins pour Taipeh, ravir la vedette à Hong Kong.
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Shanghai et Taipeh menacent Hong Kong
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°56 du 13 mars 1998, avec le titre suivant : Shanghai et Taipeh menacent Hong Kong