L'espace dédié à la collection d’art contemporain de Marcel Brient tarde à voir le jour à Montreuil.
MONTREUIL-SOUS-BOIS - 9, rue du Centenaire à Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Voici l’adresse où aurait dû se dresser depuis 2003 un espace dédié à la collection d’art contemporain de Marcel Brient. Tout avait pourtant bien commencé. En 2001, ce méga-collectionneur, qui possède 2 000 œuvres internationales dont 200 pièces de design, avait acquis une vieille matelasserie d’une superficie de 1 200 m2, mitoyenne avec un foyer de Maliens. « Je l’ai achetée pour profiter d’une collection que pour la première fois de ma vie, j’[aurais pu] enfin voir », rappelle-t-il. Car pour l’heure l’homme ne peut profiter que d’une lithographie de Sam Francis ! Pour ce fils de marin breton débarqué à Montreuil en 1962, le projet excède l’idée d’un simple plaisir privé. « Je voulais l’ouvrir aux gens de cette ville, explique-t-il. Montreuil est une ville très bigarrée, le terrain idéal pour la création. C’est là qu’on sue, qu’on imagine et qu’on espère. Je me dis qu’un petit Arabe peut voir sa vie changer en ayant un déclic par exemple pour Neo Rauch. C’est une question de rencontre. » Une extension du domaine de la lutte à celui de l’art. Dans ce bâtiment composé de trois niveaux, les 400 mètres carrés du rez-de-chaussée accessibles au public devaient être dédiés à des expositions, tandis que le premier étage était réservé à la collection permanente.
« Everything Gonna Be All Right »
En 2003, Marcel Brient avait même passé commande de projets spécifiques auprès d’artistes et de designers. Martin Szekely a ainsi dessiné un escalier trapézoïdal en chêne. Rob Pruitt était en charge du patio, l’ascenseur entre les trois étages étant conçu par Jasper Morrison. Les trois façades extérieures devaient quant à elles accueillir chacune Everything Gonna Be All Right de Martin Creed, un Billboard de Felix Gonzalez-Torres et une phrase de Lawrence Weiner, « Ride on Top ». L’espace devait enfin compter une salle vidéo haute de sept mètres sous plafond pour présenter Arc of Ascent (1992), de Bill Viola.
Ce projet séduisant s’est depuis transformé en serpent de mer. Les travaux débutent en mai 2002 pour la réfection de l’intérieur et de deux des façades. Mais, dès octobre, des problèmes surgissent au niveau des fondations. En avril 2004, des fissures pointent puis s’étendent sur les deux façades en béton préfabriqué. « Le budget de départ était de 500 000 euros, il a finalement grimpé à un million d’euros, somme que j’ai payée à 90 % », confie Marcel Brient. Celui-ci demande des explications à l’architecte en avril 2004 avant de fermer le chantier sur les conseils de son avocat le 12 juillet de la même année. Une procédure d’expertise judiciaire est alors entamée auprès du tribunal de grande instance (TGI) de Bobigny contre l’entreprise de gros œuvres et les sociétés sous-traitantes. Deux ans et demi plus tard, la procédure n’est toujours pas achevée. À la demande du collectionneur, Bouygues a remis le 29 janvier un audit éloquent : « Les dépassements de contraintes sont tels qu’il convient, à notre avis, en l’état actuel, de ne pas mettre le bâtiment en exploitation sous peine de voir l’apparition de sinistres (affaissement, fissures…). » La partie adverse doit encore fournir des documents techniques nécessaires au peaufinage de l’audit. Pendant ce temps, Marcel Brient ronge son frein.
Une collection commencée voilà trente ans comme un « fruit défendu ». C'est ainsi que Marcel Brient décrit ses débuts, marqués du sceau de quelques « maîtres ». Le marchand Karl Flinker lui met entre les mains une gouache de Jean Hélion. Son confrère Jean Fournier lui emboîte le pas avec un pastel de Joan Mitchell. Mais c’est Louis Clayeux, l’œil du marchand Aimé Maeght, qui sera le vrai initiateur. Rencontré en 1964, celui-ci forme son regard au classique et lui présente Giacometti. Depuis, l’élève a suivi son chemin en achetant toujours très tôt, pêle-mêle, Jeff Koons, Mike Kelley, Richard Prince, Franz West, Rudolf Stingel, Glenn Brown ou encore Felix Gonzalez-Torres, duquel il possède sept pièces. Pourquoi a-t-il revendu en 2000 chez Christie’s un rideau de perles de cet artiste acheté pour 60 000 francs chez Jennifer Flay ? « C’était comme une performance, assure-t-il. Personne ne parlait plus de lui. Je salue l’idée lumineuse des Américains d’exposer à la Biennale de Venise un artiste mort… » Brient s’enthousiasme aujourd’hui pour Nate Lowman, Kara Walker ou encore Anthony Burdin. « J’ai l’impression que ma collection est une banquise qui se détache depuis le 1er janvier. J’ai fini son inventaire, confie-t-il. Ce que je veux maintenant, c’est acheter 100 œuvres incontournables de ce qui serait l’art contemporain à venir. Je veux resserrer, être de plus en plus exigeant, me mettre en péril dans mes recherches. » Cette idée porte déjà trois pierres angulaires : Diego dans l’Atelier d’Alberto Giacometti, une huile sur toile de Mario Merz intitulée Lampadina et un autoportrait de Neo Rauch. Trois figures tutélaires en attente d’élèves.
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Serpent de mer
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°253 du 16 février 2007, avec le titre suivant : Serpent de mer