Serge Lemoine, le président du musée d’Orsay, est sur tous les fronts. Après le succès de « Vienne 1900 », il inaugure une exposition consacrée au dialogue Cézanne-Pissarro entre 1865 et 1885.
Comment est né le projet de l’exposition « Cézanne-Pissarro » ?
Cette exposition est dans l’air depuis longtemps. C’est Joachim Pissarro du MoMA de New York qui l’a fait se concrétiser sous cette forme. L’accrochage à Paris sera différent de ceux de Los Angeles et de New York. Les prêts ne sont pas les mêmes, mais le concept reste identique. À Orsay, il y aura plus de tableaux. Le principe de l’exposition consiste à montrer des paires, pour pouvoir effectuer des comparaisons entre Cézanne et Pissarro quand ils peignaient ensemble sur le motif. Il y a une difficulté à exposer des paires : s’il manque un tableau, l’autre n’a pas de sens !
Comment peut-on qualifier l’apport de Pissarro à Cézanne ?
On verra que Pissarro a exercé une influence fondamentale sur Cézanne. C’est d’autant plus frappant quand on connaît ce que Cézanne peignait avant de rencontrer Pissarro. À son contact, il se débarrasse de tout un fatras de thèmes littéraires, souvent confus et grandiloquents et d’une facture lourde, très empâtée. Ils vont peindre sur le motif les mêmes paysages : tableau pour tableau, œuvre pour œuvre.
Outre la discipline que Cézanne apprend ainsi avec Pissarro, il découvre aussi une certaine façon de construire le tableau, d’élaborer les formes, d’aller droit au sujet. En gros, c’est l’impressionnisme que Cézanne apprend à son contact !
Est-ce au contact de Pissarro, l’anarchiste, que Cézanne se libère de Courbet, qu’il voudra « brûler le Louvre » ?
Pissarro l’anarchiste ! Quels rapports ici avec la peinture ? La Route de Louveciennes, c’est un paysage, point à ligne, pas un manifeste politique ! C’est un tableau dans la suite de l’école de Barbizon et qui est caractéristique de l’impressionnisme. Ce qui est capital, c’est l’apport de l’impressionnisme aussi bien du point de vue des sujets, que de celui de la facture. C’est une sorte de nettoyage : on se débarrasse des façons anciennes de voir, de faire.
Cézanne dit qu’à Pontoise, Auvers, avec Pissarro, il se refait « une optique ».
On le voit bien dans l’exposition, car motif pour motif, détail pour détail, on remarque que Cézanne nettoie sa vision, sa palette, éclaircit ses couleurs, tout cela grâce à Pissarro. Je suis de ceux qui pensent que Cézanne n’a jamais été un peintre impressionniste ! Simplement, ce qu’il a appris de Pissarro, c’est une espèce de façon humble de voir les choses.
Quelle différence entre la petite sensation de Cézanne et celle de Pissarro ?
J’aime beaucoup Pissarro, mais pour moi, il reste un peintre dans la tradition de l’école de Barbizon dont il a transformé l’héritage. Sa technique, même s’il a beaucoup appris à Cézanne, reste un peu laborieuse, elle manque d’ampleur. C’est tout le contraire de Cézanne !
« La petite sensation » de Cézanne consiste à réussir à faire avec un seul coup de pinceau soit un éclat de lumière, soit la construction d’une forme. Il y a une ampleur qui se dégage de Cézanne, qui d’autre part privilégie la recherche du rythme. Cézanne reviendra à de grands sujets avec Les Baigneuses. Il saura donner un côté monumental à ses joueurs de cartes comme à ses natures mortes avec des oignons : quoi de moins « grand » que ses légumes et pourtant… Pissarro restera plus prosaïque. Cézanne donne un nouveau caractère au sacré.
Pensez-vous que Pissarro a eu sur Cézanne la même influence que Millet sur Van Gogh ?
C’est une bonne interrogation. Même si Pissarro a eu une influence importante, elle reste moins déterminante que celle de Millet sur Van Gogh. On ne peut pas comparer les influences réciproques de Millet et de Pissarro, d’autant que les figures de Pissarro viennent de Millet ! La Paysanne assise du musée d’Orsay peinte par Pissarro, c’est un Millet ! Regardez la coiffe, l’attitude, la simplification de la forme, l’absence de psychologie du personnage.
Peut-on dire qu’Auvers, Pontoise, la banlieue parisienne, ont été les centres de créations de leur époque ?
Absolument ! Il y a nombre de tableaux dans l’exposition qui sont peints à Pontoise, à Auvers par l’un et par l’autre. On voit que ces endroits ont été fréquentés par tout le monde à l’époque et constamment réutilisés. C’est à ce moment que les artistes sortent de la ville et de l’atelier, grâce à deux facteurs principaux. Le premier, pour les peintres, c’est le petit matériel de voyage qu’on emporte avec soi : chevalet de campagne, tubes de couleur et palette dans une boîte ; le second, c’est le développement du chemin de fer.
Comment se clôt l’exposition ?
L’exposition présente une période limitée de leur relation, celle de leur collaboration en banlieue parisienne pendant tout de même une vingtaine d’années. Elle se clôt avec un Pissarro lui-même influencé par Cézanne. Ils peignent les mêmes motifs, mais on voit, chez Pissarro, plus de structure, plus d’attention au dessin, tandis que Cézanne poursuit la simplification de la forme tout en « construisant » davantage.
Informations pratiques L’exposition « Cézanne Pissarro, 1865-1885 », déjà présentée en 2005 au musée d’Art moderne de New York et au County Museum of Art de Los Angeles, se tient au musée d’Orsay du 28 février au 28 mai. Le musée est ouvert tous les jours sauf le lundi, de 9 h 30 à 18 h, le jeudi jusqu’à 21 h 45 et le dimanche à partir de 9 h. Tarif exposition musée : 9 et 7 €. Le musée d’Orsay propose également un cycle de conférences autour de l’exposition : Cézanne / Pissarro : quel dialogue ? Samedi 18 mars à 11 h. Pissarro, catalogue critique de l’œuvre peint, jeudi 30 mars à 19 h. Musée d’Orsay, 1 rue de la Légion d’honneur, Paris VIIe, tél. 01 40 49 48 00, www.musée-orsay.fr
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Serge Lemoine : « Cézanne n’a jamais été un peintre impressionniste »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°578 du 1 mars 2006, avec le titre suivant : Serge Lemoine : « Cézanne n’a jamais été un peintre impressionniste »