Celui que l’on a souvent présenté comme le dernier dinosaure du Surréalisme s’est éteint le 23 novembre dernier à l’âge de 91 ans à Civitavecchia, près de Rome. Peintre, sculpteur, théoricien, philosophe amusé et méthodique, Roberto Matta s’est attaché sa vie durant à brouiller les pistes tout en poursuivant une voie obstinée et turbulente, peignant sur des espaces aléatoires et déconstruits un univers mental fait de créatures fantastiques, destiné à maintenir avec ardeur les consciences en éveil.
La peinture, c’est quelque chose qui se fait avec le verbe peindre. Je travaille plutôt avec le verbe voir », explique Matta à l’occasion de la rétrospective qui lui est enfin consacrée au Centre Georges Pompidou en 1985. Un leitmotiv qui résume à lui seul l’amplitude de la tâche que s’est fixée l’artiste. Refuser l’appellation de peintre n’est pas signe de coquetterie chez un familier de la pirouette et du contre-pied, mais plutôt celui du rejet fondamental d’une peinture qui ne se nourrirait que d’elle même et n’ouvrirait sur rien d’autre qu’elle-même. Pour Matta, elle n’est qu’un outil, un réceptacle à référents capable de créer chez l’artiste autant que chez le regardeur, un univers mental aux dimensions multiples.
Né le 11 novembre 1911 à Santiago, le jeune Matta quitte le Chili en 1933, après avoir suivi une scolarité en langue française chez les Jésuites et obtenu un diplôme d’architecture. De passage à Paris, il collabore sans grande conviction au projet de la Ville radieuse auprès de Le Corbusier. Sa formation initiale lui laissera toutefois le goût de la méthode et de la structure, une grammaire formelle qu’il se plaît à qualifier de construction en même temps qu’une méfiance certaine à l’égard du rationalisme régnant. Les amitiés nouées au gré de ses voyages lui offriront l’alibi attendu et nécessaire pour se lancer dans l’univers de la peinture. Garcia Lorca le recommande à Dali, qui le présente à Breton en 1937. Alors même qu’il en ignore les enjeux, Matta se voit ordonné surréaliste. Il inaugure son itinéraire pictural en 1938 avec les Morphologies psychologiques, série de toiles qui, bien que fixant les bases de son vocabulaire à venir, demeurent encore bien près des modèles que sont Tanguy et Dali : un microcosme fantastique fait de tâches de couleurs étirées, effilées en énigmes biomorphiques posées sur un fond brumeux et utopique appliqué au chiffon. L’espace est démultiplié et le trait spontané, alerte, ténu et répond alors aux exigences de l’écriture automatique. Fidèle et obstiné (en dépit de ses querelles avec Breton qui lui vaudront son exclusion du groupe surréaliste en 1948), il ne se départira jamais totalement du projet fragile de transposition de la poésie et de la psyché en image, ni du protocole surréaliste alliant liberté formelle, érotisme, psychanalyse et onirisme. En 1939, la guerre le mène à New York, où il rejoint une partie du groupe surréaliste. Breton, Dali, Tanguy, Ernst et Duchamp y font grand bruit et le gratin mondain s’entiche des investigations plastiques européennes. Matta y noue des contacts avec ce qui deviendra l’école de New York, Pollock, De Kooning, Motherwell et surtout Gorky sur lequel il exercera une influence notable, le libérant des contraintes du cubisme tardif. Matta lui-même explore à son contact la voie de l’abstraction, signant notamment une magistrale Vertu noire en 1943. Mais de retour en Europe, Matta reprend ses figures aiguës, ses compositions tumultueuses et inextricables. Dans les années 50, ses formats prennent de l’ampleur, parfois jusqu’à dix mètres de largeur, parfois accrochés au plafond. Le dessin reste précis, proche de la bande dessinée, l’univers se peuple de créatures informes et pointues, sortes de mécanismes organiques, monstres informels et colorés, insectes improbables, désormais teinté d’un climat cosmique dont il ne se défera plus. Dans les années 50 toujours, Matta affirme son engagement politique et exécute une série de toiles soutenant les époux Rosenberg ou condamnant la torture en Algérie. Cette combinaison du politique et de l’onirique, cette peinture narrative et lucide nourrira son infatigable production pour les années suivantes. Une obstination qui le laissera sans regret en marge du milieu et du marché de l’art contemporain, occupé à perpétuer l’épanouissement de son microcosme, de son langage morphologique, celui de la conscience universelle. Une vision intérieure, à l’image de L’Aleph imaginée par son aîné Borges et définie comme « le lieu où se trouvent, sans se confondre, tous les lieux de l’univers, vus de tous les angles ».
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Roberto Matta, le dernier surréaliste
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°543 du 1 janvier 2003, avec le titre suivant : Roberto Matta, le dernier surréaliste