La France a obtenu la restitution d’une tapisserie, volée à Riom en 1975, après avoir indemnisé les héritiers de l’antiquaire italien, reconnu de bonne foi, qui l’avait achetée dix-sept ans auparavant.
PARIS - Une fois n’est pas coutume, l’État français a donc transigé, pour une tapisserie classée monument historique, réalisée au XVIIe siècle à la Manufacture d’Amiens, et représentant une scène de l’Odyssée d’après Simon Vouet. En règle générale, il s’appuie toujours sur l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité de son patrimoine national pour revendiquer un objet volé lui appartenant, quel que soit l’endroit où il a été retrouvé, sans limite de temps, et sans avoir à indemniser le possesseur dudit objet, même si ce dernier ne peut être soupçonné de recel.
Un long contentieux
Dans le passé, l’État français a souvent fait pression sur des collectionneurs étrangers, reconnus de bonne foi dans leur pays, en utilisant l’impact des médias et en leur proposant certaines faveurs en échange d’une restitution sans indemnité. Le commissaire Mireille Ballestrazzi, ex-chef de l’Office central pour la répression des vols d’œuvres et d’objets d’art, a ainsi ramené du Japon en 1987, à grand renfort de publicité, des Corot dérobés trois ans plus tôt au Musée de Semur-en-Auxois.
De même, en 1989, la France a obtenu gain de cause auprès d’une banque de Florence : pour préserver sa réputation, celle-ci a rétrocédé trois tapisseries flamandes qui avaient été volées au Musée Réattu d’Arles sept ans auparavant.
Dans le cas de la tapisserie volée à Riom, l’État français s’est résigné à payer une indemnité car cette œuvre faisait l’objet d’un contentieux durable. L’affaire débute en effet en novembre 1977, lorsque les carabiniers italiens retrouvent chez un antiquaire milanais deux des trois tapisseries qui ont été dérobées en juin 1975 à la Cour d’appel de Riom, par des individus jamais identifiés. L’antiquaire les a achetées à un prix jugé dérisoire par l’État français. Les deux tapisseries, dont l’une a été revendue entre-temps à un collectionneur, sont alors placées sous séquestre.
L’antiquaire, jugé pour recel, bénéficie d’un non-lieu en 1979, lors d’un premier procès. L’État français fait appel, au nom de sa législation protégeant le patrimoine national, mais il est débouté en 1987 et en 1992 par les tribunaux romains. Motif invoqué : "La propriété d’un objet d’art n’est réglementée que par la loi du pays où il se trouve".
En l’occurrence, c’est la loi italienne, et non la loi française, qui l’emporte. Dans ses attendus, le jugement de 1992 suggère néanmoins à la France de régler cette affaire à l’amiable, moyennant une indemnité équitable versée aux trois héritiers de l’antiquaire, décédé depuis. La Cour d’appel précise que cet accord pourrait s’effectuer sur la base de la convention de l’Unesco de 1970 relative à "l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicite des biens culturels" (article 7), que l’Italie est dans l’obligation de respecter puisqu’elle l’a ratifiée.
La convention Unesco de 1970
Prenant acte du jugement de 1992, la France a donc entrepris une nouvelle démarche, en s’inspirant de la convention de l’Unesco de 1970 qu’elle n’a, pour sa part, pas encore ratifiée (lire les JdA n°4 et 6). L’ambassade de France à Rome s’est chargée de négocier la restitution de la tapisserie avec les héritiers, localisés au Caire et à Montréal après une laborieuse enquête. Ces derniers recevront une indemnité de 50 000 F environ, correspondant au prix payé par leur père, majoré en fonction de l’indice des prix italien.
La France n’est pas lésée, puisqu’une tapisserie de ce type en bon état vaut aujourd’hui entre quatre et cinq fois plus en salle de vente. Quant à la deuxième tapisserie, acquise par un client de l’antiquaire, mais toujours placée sous séquestre, l’ambassade de France à Rome espère la récupérer de la même manière.
À l’avenir, les modalités d’une telle restitution seront encadrées par la directive de Bruxelles du 15 mars 1993, sur le rapatriement de "biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre de la Communauté". Ce texte, qui devrait être transposé en droit français d’ici la fin de l’année 1995, ne sera pas rétroactif. Le retour en Italie du célèbre tableau de Véronèse, Les Noces de Cana, qui fut réquisitionné à Venise par Bonaparte en 1797 avant d’être exposé au Louvre, n’est donc pas à l’ordre du jour...
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Retour en France d’une tapisserie volée
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°8 du 1 novembre 1994, avec le titre suivant : Retour en France d’une tapisserie volée