César est mort à Paris le 6 décembre 1998, à l’âge de 77 ans. Le critique d’art Pierre Restany, qui a été son ami pendant plus de quarante ans, évoque la mémoire du sculpteur.
La carrière de César a été lente au début. Il a été un long étudiant attardé aux Beaux-Arts. Je l’ai rencontré à l’occasion de sa première exposition en 1954, à la galerie Lucien Durand. Parmi ses fers soudés, il montrait un fameux Poisson qui a fait le tour du Tout-Paris des arts. À l’époque, la scène contemporaine était beaucoup plus réduite qu’aujourd’hui. Les galeries étaient vraiment très rares, et César a dû attendre l’âge de trente-trois ans pour pouvoir exposer. Et là, cela a été véritablement la consécration presque instantanée. On s’est aperçu que, manifestement, il était la star de ce petit groupe d’étudiants qui soudaient la ferraille. César avait ce génie d’en faire sortir les formes les plus imprévues, les plus saisissantes, caractéristique de son instinct profond de la matière. Par la suite, six ans plus tard, après avoir consolidé sa réputation, il lui arrive le fameux scandale du Salon de Mai.
Alors que tout le monde attendait de sa part, en ce mois de mai 1960, la vérification supplémentaire de son talent dans l’organisation de la matière soudée, César présente trois carrosseries automobiles compressées à la tonne qu’il appelle “ses sculptures”. Nous les avions choisies ensemble parce que, entre 1954 et 1960, j’ai commencé à cristalliser ma théorie du Nouveau Réalisme, centrée sur l’idée que la nature moderne, d’ordre industriel, urbain, médiatique, fournit une matière première de base qui peut générer toute une expressivité nouvelle. Par son geste d’appropriation directe d’un fragment de cette nature industrielle, César rejoint la grande idée générale des Nouveaux Réalistes. Le scandale qu’il a causé était dû à sa renommée – il était déjà très célèbre, avait exposé à Venise, à la Documenta, à São Paulo. Il nous a fait, aux Nouveaux Réalistes et à moi, un très beau cadeau en apportant son aval à ma théorie marginale. À l’époque, Klein, à part son scandale du vide en 1958, était tout à fait inconnu, idem pour Tinguely, Arman et Hains étaient isolés. Il a beaucoup aidé à la dynamique même du mouvement que j’ai créé formellement en octobre 1960. César a été confronté brusquement à un grave problème. En prenant cette position au Salon de Mai, il a perdu d’un seul coup son marchand, Claude Bernard, ses collectionneurs et ses critiques. Il s’est retrouvé pratiquement tout seul, et je l’ai tenu à bout de bras. Il a fini par remonter la crise et s’installer dans ce qui était difficile pour lui, c’est-à-dire le dualisme fondamental de son œuvre : d’un côté, le César héritier direct de la grande tradition de la statuaire française classique, celle de Rodin, avec ses fers soudés, ses bronzes et ses bronzes soudés, souvent portés d’ailleurs à l’échelle monumentale, donc un côté homo faber ; de l’autre, le César Nouveau Réaliste, celui qui se sert directement du matériau que lui offre la production industrielle et qu’il recycle de façon poétique. C’est ce qu’il fait en 1966, en présentant au Salon de Mai sa première Expansion. César a constaté les caractéristiques éminemment métamorphiques du polyuréthanne expansé, qui se cristallise à l’air libre presque instantanément en une petite montagne de mousse solide. Le phénomène est un spectacle en soi.
On sent ici aussi le côté extrêmement génial de l’artiste dans l’instinct de la matière. Il retrouvait dans son regard cette faculté d’éblouissement qu’il avait devant la nature et devant la nature industrielle. Il était capable de s’émerveiller, de s’enthousiasmer sans fin devant un aspect de cette nature qui était pour lui l’industrie, la ville et les médias. Quand il commence à travailler, c’est toute cette intimité avec la matière qui ressort, surtout dans les têtes. Ce jardin intime de ses complexes et de ses impulsions, il va le travailler régulièrement jusqu’à la fin de sa vie, puisque 1998 a été une année remarquable et signifiante chez lui. Elle voit au mois d’avril à Paris, chez Claude Bernard avec qui il avait fait depuis longtemps la paix, une exposition remarquable de têtes où l’on sent véritablement tout l’univers intérieur de César, un peu comme son testament. On sent qu’il est un peu passé à travers tous les états d’esprit qui étaient la richesse même de son tempérament, qu’il est arrivé à un bilan, qu’il sort un peu serein de ce dialogue constant avec la mort et qu’il en prend son parti. Il a fait toute une série d’œuvres qui mettent en scène son masque en face d’un crâne. Cet homme qui aura été extrêmement obsédé par la mort aura trouvé un apaisement dans les derniers mois de sa vie, sans doute parce qu’il était heureux.
Le grand sculpteur de notre demi-siècle
À partir de 1981, la scène artistique parisienne prend un caractère nouveau. La décentralisation aidant, Jack Lang crée tout un système politico-administratif de la Culture. Brusquement, l’État qui jusque-là s’était très peu intéressé à l’art contemporain, finit par devenir le protagoniste incontournable de la Culture. Les gens qui sont appelés à remplir ces fonctions finissent par créer une sorte de caste administrative qui a un certain pouvoir et qui veut surtout le justifier. Alors, César devient un problème pour eux, parce qu’il n’avait pas eu besoin d’eux pour être célèbre. C’est de là que naît le grand malentendu. Son caractère méditerranéen aidant, il devient “le mondain”, “le type sur lequel on ne peut pas compter”, “l’emmerdeur”. Jusqu’à sa mort, le Centre Georges Pompidou s’est bien gardé de lui faire une rétrospective, et la seule qu’il a eue, c’est au Jeu de Paume. Cela a été pour lui une grande tristesse : son directeur, Daniel Abadie, est un personnage intelligent mais très autoritaire. Il n’a pas voulu que César participe à la sélection des œuvres de l’exposition, et il n’a pas voulu non plus qu’il prenne part à l’accrochage. César en a beaucoup souffert.
Et d’ailleurs, le résultat n’a pas été très probant. Il a été très sensible à ce ratage. Heureusement, l’accrochage de Milan était mieux fait et il a eu le grand succès qu’il espérait. Milan lui a donné la joie que Paris ne lui a pas donnée. Il a même trouvé une usine de métallurgie dans la région milanaise qui lui a permis in extremis, à quelques mois de sa mort, d’ouvrir un chapitre nouveau dans l’histoire des compressions : les compressions monochromes, peintes dans la gamme des couleurs laquées, métallisées des carrosseries Fiat. Ce qui l’a tenu en vie cet été, c’est l’idée qu’il y aurait peut-être une rémission dans son mal et qu’il pourrait continuer à faire une nouvelle série de compressions monochromes. Le destin ne l’a pas voulu. Il est mort en paix et en plein espoir, en pleine vitalité. Il a très bien démontré ce qu’est le double visage de son talent, le grand sculpteur moderne et le grand sculpteur contemporain. Et en ce sens, je pense qu’il est le grand sculpteur de notre demi-siècle. Le destin de la sculpture contemporaine du XXe siècle se situe entre les deux pôles majeurs de la créativité que sont Brancusi et César.
1921 Naissance à Marseille.
1935 Sa mère l’inscrit aux cours du soir de l’École des beaux-arts de Marseille.
1943 Admis à l’École nationale et spéciale des beaux-arts de Paris.
1954 Réalise sa première grande œuvre en métal soudé, Le Poisson. Roland Jacques l’accueille dans le hall de son usine de Villetaneuse. Expose chez Lucien Durand.
1956 Expose cinq sculptures à la Biennale de Venise.
1958 Signe un contrat avec la galerie Claude Bernard, à Paris.
1959 Expose trois sculptures à la Documenta II de Cassel.
1960 Réalise ses premières Compressions.
1964 Quatre de ses sculptures soudées sont présentées à la Documenta III de Cassel.
1966 Rétrospective au Stedelijk Museum d’Amsterdam et au Musée Cantini de Marseille.
1967 Moule le sein de Victoria von Krupp. Présente sa première Expansion au Salon de Mai. Participe à la Biennale de São Paulo.
1968 Réalise trois Expansions en public à la Tate Gallery, à Londres. Six Pouces sont exposés à la Documenta IV de Cassel.
1970 Le Centre national d’Art contemporain (Cnac) organise la première présentation des Expansions. Est nommé professeur de sculpture à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris.
1975 Conçoit, à la demande de Georges Cravenne, les trophées de l’Académie du Cinéma.
1976 Le Musée Rath de Genève organise sa première rétrospective majeure
1985 Le Centaure - Hommage à Picasso est installé au carrefour de la Croix-Rouge, à Paris.
1986 Quitte son poste de professeur à l’École des beaux-arts.
1992 La Ville de Marseille décide de créer un Musée César.
1995 Expose dans le pavillon français de la Biennale de Venise.
1996 Reçoit au Japon le Praemium Impérial.
1997 Bénéficie d’une rétrospective à la Galerie nationale du Jeu de Paume.
1998 Décède à Paris, le 6 décembre.
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Restany rend hommage à César
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°73 du 18 décembre 1998, avec le titre suivant : Restany rend hommage à César