La manifestation consacrée à la photographie fête cette année son quarantième anniversaire. Une soixantaine d’expositions historiques ou prospectives marquent cette édition.
«40 ans de rencontres, 40 ans de ruptures»: en deux volets, l’édition anniversaire des Rencontres d’Arles retrace l’histoire de ce festival photographique pionnier qui a révélé Djon Milli, Annie Leibovitz ou encore Nan Goldin, son invitée spéciale cette année. Sur fond de crise budgétaire, soixante expositions montrent la création photographique des années 1950 à nos jours. L’œuvre faussement naïve de Willy Ronis, doyen de la photographie humaniste française, est célébrée, à l’instar des scènes mystico-érotiques de Lucien Clergue, «l’inventeur» des Rencontres en 1970, ou des acquisitions de la Bibliothèque nationale de France. Toutes les facettes de l’éditeur-galeriste-réalisateur Robert Delpire sont restituées à travers une exposition vécue comme un malentendu: «J’ai été étiqueté spécialiste de la photographie lorsque j’ai été nommé à la tête du Centre national de la photographie (en 1982) alors que mes goûts sont éclectiques. Dès ma jeunesse, l’image a beaucoup compté. J’ai eu l’œil heureux», corrige Delpire, qui osa publier Les Américains de Robert Frank dès 1958.
Comme dans un zoom arrière, quinze commissaires réinvités présentent leur candidat au prix Découverte. Des écritures originales révèlent, entre autres, les plans poétiques du Franco-Belge Jean-François Spricigo, lauréat du prix de l’Académie des beaux-arts, ou l’essai visuel humoristique de la Slovaque Magda Stanova interrogeant les particularités du médium photographique à travers photos trouvées, dessins et textes philosophiques.
Tragique teinté d’érotisme
Les Rencontres d’Arles frôlent l’autocélébration en mettant à l’honneur l’Américaine Nan Goldin, une artiste qu’elles ont fait connaître en 1987 à travers sa série autobiographique en huitcents diapos The Ballad of Sexual Dependancy, reprogrammée cette année. Son émouvante série «Sœurs, saintes et sibylles» innove par le point de vue qu’elle requiert de la part du spectateur, depuis une plateforme de quatre mètres de haut. «En rupture totale avec la manière de montrer de la photo, Nan Goldin a réinventé le genre de la projection», explique François Hébel, directeur des Rencontres d’Arles depuis 2001. Star du marché, Goldin invite à son tour treize auteurs «coups de cœur»: on remarque les négatifs que l’Américaine Marina Berio redessine au fusain sur papier, les sites sacrés des Ouïghours stylisés par l’Américaine Lisa Ross, ou encore les simili-cyanotypes de la série «At Dusk» sortis de la mémoire traumatique de l’Ukrainien Boris Mikhailov. Pour la première fois, Nan Goldin dévoile sa collection: une soixantaine de classiques de Hans Bellmer, Man Ray, Pierre Molinier et Weegee assortis d’œuvres contemporaines, l’ensemble reflétant un sentiment tragique de la vie teinté d’érotisme.
L’idée de rupture apparaît également à travers les rétrospectives dévolues à l’Américain Duane Michals et au Britannique Brian Griffin. Dès 1974, le premier adjoint l’écriture à l’onirisme mortifère de ses séquences influencées par Magritte, tandis que le second renouvelle son style dans deux commandes institutionnelles. Le travail sur la chair de Thomas Florschuetz, né en ex-RDA, est sorti de l’ombre alors que les séries récentes de Martin Parr, Naoya Hatakeyama et Joan Fontcuberta signalent des noms récurrents. À ne pas manquer: la collection engagée d’images de lynchage de Noirs américains qui vient du Center for Civil and Human Rights (Atlanta, Géorgie, États-Unis).
Sans nostalgie, les Rencontres racontent leurs débuts de «festival bouillabaisse»: en 1970, trente-six vintages d’Edward Weston agrémentent alors un programme pluridisciplinaire. Dès 1976, ce premier festival international de photo, controversé, a l’idée de mettre en vedette les photographes, rappelle Lucien Clergue. Retour sur images: les instantanés, facétieux, de l’exposition «On n’a pas tous les jours 20ans» voient défiler les portraits de Robert Doisneau, André Kertész, Joseph Koudelka, Don McCullin, Robert Mapplethorpe ou Raymond Depardon, des noms qui ont fait de cette manifestation une référence mondiale. Avec des «ratés»: Irving Penn, Richard Avedon, Bill Brandt ont refusé d’y participer. «Dans les années 1980-1990, les Rencontres sont passées à côté de l’école de Düsseldorf et de Cindy Sherman», se reproche François Hebel, qui vient de produire quarante-cinq expositions, «ce qu’un musée fait en dix ans», malgré un trou de 80000euros dans un budget global excédant 3,8millions d’euros. Cet éclectisme a fait grimper la fréquentation de 30% par an, avec 60000visiteurs en 2008. Cette édition anniversaire devrait confirmer la tendance.
Les Rencontres d’Arles, jusqu’au 13 septembre, programme consultable sur le site: www.rencontres-arles.com
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Rencontres à Arles
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Après six mois de travaux, le Musée Réattu à Arles a rouvert le 8juillet. Ce lieu magnétique dialogue avec sa collection photographique confrontée à des sculptures, installations et objets. Mentale, charnelle, sensorielle, l’exposition «Musée Réattu, chambres d’écho», où figurent plus de 400œuvres, se déploie en vingt-cinq salles tantôt monographiques (Edward Weston, Dieter Appelt, Jacqueline Salmon, Georges Rousse), tantôt thématiques –«Le voyage intérieur», « L’apparition », « L’énigme». Les passages et les escaliers du Grand Prieuré de l’Ordre de Malte bruissent de paysages sonores de Knud Viktor. Exposition dans l’exposition, un ensemble de 110photographies de Brassaï et d’objets restitue ses fameuses «Conversations» avec Picasso. Les thèmes de «l’Atelier», des «Transmutations», du «Spectacle», des «Graffitis» témoignent des connivences esthétiques établies entre ces artistes dès 1932. Le parcours vibratoire en pleins et vides qu’a conçu Michèle Moutashar, directrice du musée, mène des noirs ascétiques de la chambre Vasco-Ascolini, en assonance avec le «Cube», de Giacometti à l’espace-temps japonais de la chambre du Ma.
Jusqu’au 29 novembre, www.museereattu.arles.fr
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°307 du 10 juillet 2009, avec le titre suivant : Rencontres à Arles