Après les doutes émis sur la restauration du retable d’Issenheim, c’est une intervention sur la Sainte Anne de Vinci qui fait l’objet d’une bataille d’experts. Rappel des règles déontologiques préalables à toute intervention.
L’œil : Que dit la déontologie en matière de restauration de peintures ?
Elisabeth Mognetti : La déontologie indique des lignes de conduite telles que : la nécessité des examens et des études préalables dans les cas complexes, celle, dans tous les cas, d’un dossier d’examens photographiques et d’analyses documentant et accompagnant les interventions et d’un rapport précis des interventions réalisées ; le caractère « stable », « réversible », « lisible » des interventions ; l’emploi de matériaux compatibles avec les matériaux originaux ; la préférence donnée à l’intervention limitée à l’indispensable ; le recours à des professionnels formés et expérimentés […]. Cela dans l’objectif de présenter la peinture au public sous un aspect qui lui permette de livrer son message d’œuvre d’art authentique, témoin de son temps, pour notre temps et pour la génération future, enrichie de l’épaisseur de temps qu’elle a traversée.
L’œil : Il s’agit donc d’un sujet complexe…
E. M. : Je cite ces notions sommairement pour montrer que, si elles sont partagées dans le monde professionnel, leur application concrète n’est pas évidente au cas par cas. Certaines d’entre elles sont contradictoires et génèrent des tensions : la restauration a été définie comme une démarche critique. Que signifie la « réversibilité » d’une consolidation ? Aucun nettoyage n’est réversible. On ne mesure la compatibilité d’un produit avec les matériaux originaux qu’en fonction de l’état des connaissances. Jusqu’où la réintégration d’une lacune doit-elle être « lisible » ? Comment « atténuer » des traces d’usage sans les dissimuler ? Pour chaque restauration, il faudra trouver la solution qui respecte la déontologie, mais aussi celle qui s’inscrit le plus justement dans les objectifs muséographiques et le cadre budgétaire tout en prenant le mieux en compte les spécificités de l’œuvre qui doivent impérativement être restituées au public. Cet équilibre n’est pas facile ni immédiatement définissable.
L’œil : Ne faut-il pas restaurer un tableau que lorsque son intégrité est menacée ?
E. M. : Peut-on dire que la restauration d’une peinture n’est pas indispensable si son état de conservation matérielle n’est pas immédiatement menacé ? Peut-on penser qu’à terme on se focalisera uniquement sur la « conservation préventive » ? Le « pourquoi » d’une restauration est une bonne question, mais il ne peut y avoir de réponse généraliste. La question « esthétique » revient finalement à celle-ci, que j’emprunte à Richard Gagnier lors de sa conférence au congrès de la SFIIC « Art d’aujourd’hui, patrimoine de demain » : « Que sommes-nous prêts à accepter ? » Des taches dues à des repeints altérés sur la Sainte Anne de Léonard ? Non, si on a les moyens d’entreprendre l’opération globale qui permettra de les supprimer en préservant la subtilité des glacis. Un vernis jauni ? Oui, s’il s’agit de La Joconde et que ce vernis appartient à l’histoire « culturelle » du tableau. Non, dans la plupart des cas où il s’agit du vernis apposé lors d’une restauration antérieure. […] Évidemment la réponse à la question est plus subtile que ces exemples que je grossis volontairement. Toute restauration apporte un surcroît de connaissance. Pour des œuvres phares, ce qu’on acquiert en termes de connaissance peut être de première importance. Ce n’est pas la justification de la restauration, mais c’en est une des conséquences les plus positives. Les faire partager à un large public est aussi indispensable que de lui faire partager les questionnements.
LE DEBAT
Début octobre, Le Journal des Arts publiait un article soulignant le projet de restauration interventionniste de la couche picturale du chef-d’œuvre de Léonard de Vinci La Vierge, l’enfant Jésus et sainte Anne, conservé au Musée du Louvre.
8 A 12 MICRONS
C’est l’épaisseur de vernis que Vincent Pomarède s’est engagé à préserver pour éviter d’entrer en contact avec les couches de peinture. Dans le JdA du 21 octobre, le directeur du département des Peintures du Louvre a jugé conserver « une épaisseur significative de vernis ancien ».
« Dans le cas présent, il y a un lien si intime entre les vernis et le sfumato qu’il faudrait prouver, avant d’agir, que ce dernier ne va pas être en même temps altéré et dégradé par les solvants. Or, je ne vois pas qu’à ce jour ce point soit éclairci. »
Michel Favre-Félix, président de l’Aripa, au sujet de la restauration de la Sainte Anne (Le JdA du 7 octobre 2011).
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Abonnez-vous dès 1 €Élisabeth Mognetti est conservateur en chef et directrice scientifique du Centre interrégional de conservation et restauration du patrimoine (CICRP) établi à Marseille.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°641 du 1 décembre 2011, avec le titre suivant : Questions d'actu : Élisabeth Mognetti