Que pensez-vous de la réflexion initiée par le rapport Aicardi en 1995, suggérant de prélever une partie des recettes de la Française des Jeux pour obtenir des financements complémentaires au profit de la Culture ? À quoi devraient être affectées ces sommes en priorité ? Telles sont les deux questions que nous avons posées à six personnalités du monde de la culture et de la politique. Voici leurs réponses.
François Cachin, directeur des Musées nationaux
L’affectation d’une partie des recettes de la Française des Jeux à des dépenses d’ordre culturel constitue une piste intéressante. La discussion appartient au ministère de la Culture et à celui du Budget. Cette idée d’un prélèvement sur les recettes des jeux avait été inventée après la guerre pour reconstruire Versailles. Les discussions avancent. Une partie des crédits pour les cérémonies du passage à l’an 2000 serait financée à l’aide de prélèvements sur des recettes de la Française des Jeux. Après ces manifestations, ces sommes pourraient être utilisées au profit de la protection du patrimoine et des trésors patrimoniaux.
Annick Bourlet, présidente de la Fédération française des sociétés d’Amis de musées
Je crois que tout ce qui peut donner aux musées des moyens financiers supplémentaires est une bonne chose. Néanmoins, ce n’est pas toujours avec de l’argent que l’on arrive à faire les meilleures choses. Le conservateur du Musée des arts forains, par exemple, a réussi, en partant de rien, à réunir une collection importante. Son musée, aujourd’hui installé à Bercy, a accueilli 100 000 personnes dès la première année et parvient désormais à s’autofinancer. Le service public ne devrait-il pas s’inspirer d’expériences similaires ? Les pouvoirs publics et le privé devraient s’efforcer de travailler ensemble. L’argent de la Française des Jeux provient du porte-monnaie de personnes privées qui jouent pour poursuivre un rêve. Est-ce vraiment à l’État de gérer ces subsides ? Le privé ne doit-il pas être associé à la gestion de ce patrimoine ? Si ces sommes pouvaient être débloquées, l’objectif prioritaire serait évidemment l’enrichissement des collections par le biais de nouvelles acquisition. Mais ne faudrait-il pas aussi penser à encourager les donations ? La mise à distance du public et le fait de considérer ce dernier comme un consommateur et non pas comme un acteur constituent une entrave au développement des donations.
Claude Lévêque, artiste
Je pense que ces prélèvements sur les bénéfices des loteries peuvent être une bonne chose. Les arts plastiques sont totalement sinistrés ; il serait souhaitable qu’ils puissent bénéficier de tels crédits. Il est indispensable de donner des moyens supplémentaires à des petits centres expérimentaux, en province et à Paris, ainsi qu’à de jeunes artistes. Il faut que cette affectation se fasse après une large concertation et que toutes les acteurs travaillent ensemble. En France, on a tendance à s’intéresser davantage au passé qu’au présent. Il faut donner des moyens supplémentaires à la production artistique vivante.
Christophe Durand-Ruel, galeriste
Cette nouvelle initiative est en soi intéressante. Mais il faut tenir compte de la spécificité de la France. Dans les pays qui ont mis en place ce système de financement grâce à des sommes prélevées sur les recettes des loteries, il n’existait pas véritablement, contrairement à la France, de ministère de la Culture. Nous avons, nous en France, un ministère de la Culture très présent. Sur le fond de la question, il est important de savoir si ces financements seront des financements complémentaires ou se substitueront à des financements existants, et s’il y aura ou non une nouvelle répartition de ces sommes. Au total, je ne vois pas véritablement ce que cela va changer. Une véritable révolution consisterait à diminuer, en France, le rôle du ministère de la Culture en tant que pourvoyeur de subsides au profit d’une déduction fiscale dont bénéficieraient des mécènes qui effectueraient eux-mêmes certains choix. N’oublions pas que, quand des mécènes constituent des collections importantes, ces œuvres retombent souvent ensuite dans le domaine public en venant enrichir les musées lors de donations ou de successions. Cette hypothèse d’un prélèvement sur la Loterie ne change donc rien au système. Néanmoins, si un tel prélèvement était effectué, il devrait être affecté en priorité au budget des arts plastiques, qui est souvent rogné.
Jacques Renard, délégué national à la Culture du Parti socialiste
Je suis a priori favorable à cette réforme, à la condition que cette ressource supplémentaire ne vienne pas en substitution mais en complément des sommes disponibles. Cet argent devrait servir à des actions ou des interventions précises, comme les célébrations de l’an 2000 ou l’acquisition d’œuvres d’art, mais aussi pour réaliser des investissements dans le domaine du patrimoine. Cet argent ne doit pas être affecté au fonctionnement régulier du ministère de la Culture. Ces sommes devraient être affectées en priorité à l’achat d’œuvres d’art pour empêcher l’exportation et la sortie du territoire de trésors nationaux.
François Baroin, délégué national à la culture du RPR, député de l’Aube et maire de Troyes
C’est une piste qui peut être effectivement explorée. Mais il ne faut pas se cacher qu’elle a un côté “gadget”. La vraie question est : faut-il plus d’argent et pour quoi faire ? Sur l’affectation de ces sommes, on a malheureusement l’embarras du choix. Le budget de la Culture a certes beaucoup augmenté depuis quinze ans mais, en même temps, le bateau prend l’eau de toutes parts : les budgets d’acquisition des bibliothèques sont exsangues, ceux des musées aussi. Les travaux au Grand Palais, à Beaubourg, l’entretien des grandes institutions pèsent terriblement sur le budget. Dans ces conditions, il ne serait pas très sérieux de dire péremptoirement que le produit du Loto devrait être affecté à ceci plutôt qu’à cela, et de choisir entre divers secteurs également respectables. Le véritable enjeu, auquel il ne semble pas que le gouvernement actuel réponde, serait de définir un nouvel équilibre budgétaire de manière à ce que tous les acteurs culturels ne soient pas obligés, en cours d’année, de réviser leurs budgets à la suite des régulations budgétaires et des remises en cause permanentes de sa parole par l’État.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Qu’en pensent-ils ?
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°55 du 27 février 1998, avec le titre suivant : Qu’en pensent-ils ?