Depuis une quinzaine d’années, le design est une discipline en expansion. Il est aujourd’hui enseigné dans plusieurs types d’établissements : les écoles spécialisées et les écoles d’art proposant une option design. Ces dernières revendiquent une dimension culturelle, artistique, qui ferait défaut aux premières. Pourtant, à l’examen des conditions d’admission, des matières enseignées et du déroulement de la scolarité, des convergences s’esquissent.
La plupart des écoles exigent le baccalauréat, à l’exception notable de l’École nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad), pour participer au concours d’entrée. Celui-ci se compose d’une série d’épreuves écrites (culture générale, arts plastiques…), puis d’un entretien au cours duquel le candidat doit présenter un dossier de réalisations personnelles, voire d’un carnet de travail, comme à l’Ensad. La personnalité du postulant est déterminante dans la sélection finale, elle est même le critère principal à l’École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI), où la maîtrise du dessin n’est pas requise. Les élèves y sont donc d’origines extrêmement diverses : de BTS d’esthétique industrielle, DUT de génie mécanique, licence de chimie… Ils doivent aussi faire la preuve d’un talent créatif. Mais la sélection est rude : pour 1 000 demandes, 40 seulement sont retenues chaque année à l’ENSCI. Toutes les écoles publiques sont également submergées de candidatures. À Reims, 350 dossiers sont arrivés l’an dernier pour environ 80 places. Cette pénurie fait la fortune des prépas et des écoles privées, où le prix d’une année peut atteindre 40 000 francs, contre 1 000 à 3 000 francs en moyenne dans le public. Mais “ceux qui ont la vocation doivent bien trouver une école ; ils s’inscrivent donc dans le privé”, constate Arlette Despond-Barré, qui enseigne l’histoire du design à l’École des arts appliqués de Strasbourg. Elle remarque également qu’“il n’existe quasiment pas de prépa publique”, alors que le passage par une prépa peut faire la différence au moment du concours. Un accès par équivalence est toutefois possible dans la plupart des cas, après un BTS d’esthétique industrielle ou d’architecture intérieure, ou un diplôme d’arts plastiques.
La durée de la scolarité est variable. Dans les écoles d’art publiques, un diplôme national d’art et technique (DNAT) est délivré après un cycle court de trois ans et un diplôme national supérieur d’expression plastique (DNSEP) après cinq ans. Pour Servane Zanotti, directrice de l’École régionale des beaux-arts du Mans, en choisissant le DNSEP, “l’étudiant a plus de temps, l’imaginaire occupe une plus large place”. Il faut compter quatre ans à l’Ensad, à Troyes et cinq ans à l’École supérieure de design des Pays de Loire, à Créapôle (Paris) et à l’école Camondo (Paris). L’École Boulle délivre pour sa part un diplôme supérieur d’arts appliqués (DSAA) en design produit mobilier, d’une durée de deux ans, ouvert aux étudiants des métiers d’art.
Pour l’élève souhaitant poursuivre ses études, il existe, dans un petit nombre d’établissements, des troisièmes cycles qui sont des formations post-diplômes. Les étudiants en design ne sont donc pas les seuls concernés. Ainsi, l’École régionale des beaux-arts de Saint-Étienne accueille, dans le cadre de son 3e cycle “Recherche et création en design”, des ingénieurs, des graphistes, voire des journalistes. Ces étudiants y développent “un projet de recherche, obligatoirement lié au secteur professionnel”, explique le directeur Jacques Bonnaval. La dimension expérimentale est aussi mise en avant à l’Ensad : “Ce ne doit pas être une cinquième année déguisée”.
Qui enseigne quoi ?
Les écoles font largement appel à des intervenants extérieurs, près de 200 à l’Ensad : des universitaires pour les sciences humaines, la culture générale, des artistes pour le dessin, mais surtout des professionnels. Ce sont des designers d’agence ou d’entreprise, voire des ingénieurs comme à Saint-Étienne, ou des paysagistes à Strasbourg. La qualité des intervenants est un argument important dans la concurrence que se livrent les écoles. “La plupart des grands designers actuels, c’est-à-dire ceux dont l’agence est en expansion, enseignent à Reims”, affirme ainsi Gervais Jassaud, directeur de l’école champenoise. Quant à Créapôle, école privée, elle choisit en priorité “des designers qui vivent de leur métier”, explique son président, Jean-Michel Leralu, précisant qu’il y a “beaucoup de conseillers dans cette profession qui n’ont pas de clients”. Ont ainsi été sollicités les chefs designers de Rover, Peugeot ou Mercedes. Camondo, sous la tutelle de l’Union des arts décoratifs, fait naturellement appel à des conservateurs pour dispenser des cours sur l’histoire des arts décoratifs.
Les matières sont plus ou moins les mêmes partout, mais la place réservée à chacune varie en fonction du projet pédagogique. Dans les écoles des beaux-arts, tous les élèves suivent le même cursus pendant deux ans avant de choisir leur option, art ou design. Cette scolarité commune a pour objet, outre l’acquisition des techniques du dessin, de sensibiliser les futurs designers à la dimension artistique de leur profession. À l’Ensad et à l’École des arts décoratifs de Strasbourg, les deux premières années sont communes à tous les étudiants, quelle que soit l’option choisie par la suite : architecture intérieure, design industriel, mobilier… Cette méthode a pour objet de former des concepteurs pluridisciplinaires. L’École Camondo nourrit la même ambition en proposant une formation complète d’architecte d’intérieur et de designer en produits d’environnement, intégrant ainsi toutes les dimensions du travail sur l’espace. “Les élèves doivent être capables de répondre à des offres qui vont du design à la conception graphique et à l’architecture intérieure”, souligne Véronique Eicher, chargée du placement et des stages. Ailleurs, l’accent est tout de suite mis sur le design.
Variété des matières
Les matières enseignées s’articulent autour de trois axes. Le premier, théorique, regroupe des matières aussi diverses que l’histoire de l’art, des techniques et des civilisations, la sociologie, la sémiologie, les sciences physiques, le droit ou encore le marketing. À Strasbourg, il existe même un cours d’histoire du design, “afin d’offrir aux élèves une vision plus large”, déclare Arlette Despond-Barré. Prêchant pour sa paroisse, elle regrette par ailleurs “l’absence d’une culture de l’urbanisme et de l’environnement dans les écoles de design”.
Le second volet de l’enseignement est plus directement artistique. Le dessin, la couleur, le volume, la perspective sont les matières principales étudiées dans ce cadre. La maîtrise de ces techniques reste toujours indispensable pour donner forme à ses idées, “mais on ne peut plus concevoir un objet à la main”, estime Servane Zanotti. La place de l’informatique (PAO, CAO…) s’est donc naturellement développée dans l’enseignement, et les écoles ont toutes fait un réel effort d’équipement.
Le troisième axe a un caractère fortement professionnel. À ce stade, il convient de distinguer les différentes branches du design, adaptées à des exigences diverses : produit, mobilier, espace, graphique ou textile. Si l’Ensad encourage la polyvalence en créant des passerelles entre les spécialités et en organisant des cours communs en scénographie, mobilier ou design, les écoles développent généralement une ou deux spécialités : produit et espace à Strasbourg, industriel à l’École de design des Pays de Loire, produit à Troyes, environnement à Camondo, transport et produit à Créapôle, espace à l’École des beaux-arts du Mans. Dans chacune sont explorées les exigences propres, les matériaux employés et des techniques variées qui vont de la fonderie à l’infographie.
Stages en entreprise
Chaque établissement impose un stage à ses élèves, le plus souvent à partir de la deuxième année. À Reims, “quatre mois de stage en début de quatrième année rendent les élèves plus motivés”, note Gervais Jassaud. Ils sont surtout l’occasion de tisser des liens avec les entreprises ou les agences en vue d’un futur emploi. Parfois, comme à Camondo, le stage tend à élargir l’horizon de l’étudiant, en l’orientant vers les musées et les galeries. Plus intéressante encore, l’élaboration de projets en liaison avec les entreprises offre à l’élève une véritable opportunité de se faire valoir. Calor, par exemple, a proposé aux étudiants de Saint-Étienne de réfléchir à un fer à repasser de voyage.
L’ENSCI, créée en 1982, est très sollicitée par des entreprises aussi prestigieuses que Thomson, Alcatel, Moulinex et la RATP. La réalisation de ces projets fait partie de l’enseignement et, à ce titre, est suivie par les professeurs. L’Ensad élabore un cahier des charges en collaboration avec les industriels demandeurs, comme John Deere, Seb ou le cristallier Laroyère, et signe une convention d’études. Cette école impose par ailleurs à ses élèves de trouver un partenaire professionnel pour leur projet de fin d’études. L’École des beaux-arts et des arts appliqués de Troyes formule une exigence identique mais démarche elle-même les entrepreneurs. Parfois, ce projet aboutit à la mise sur le marché du produit : Roche Bobois a ainsi pris en commande un meuble conçu par un élève de l’Ensad.
Les concours sont l’autre vecteur par lequel les étudiants affrontent des problèmes concrets. Plusieurs grands concours sont organisés chaque année dans ce domaine par Gaz de France, le Comité Colbert (qui regroupe les industries du luxe) ou la Fondation des Trois Suisses. Cette dernière offre au lauréat une aide à la création d’entreprise. La gagnante de 1997, alors qu’elle n’est qu’en deuxième année à l’École supérieure d’art et de design de Reims, a dû fonder sa société pour recevoir les subsides. Le suivi des concours dans l’école est assuré par les enseignants, et l’étudiant peut présenter son travail comme projet de fin d’études. Y voyant un bel outil de promotion, chaque établissement tire une fierté légitime des bons résultats obtenus dans ces compétitions : deux premiers prix consécutifs au concours Habitat pour Camondo, cinq prix au dernier concours du Comité Colbert pour Créapôle, le prix Jeune Créateur 97 pour une élève de Reims (un verre de cérémonie pour la Cristallerie Saint Louis), un 1er prix à Museum Expressions pour une étudiante de Troyes…
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Quelles écoles pour quels diplômes ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°54 du 13 février 1998, avec le titre suivant : Quelles écoles pour quels diplômes ?