Le cédérom comme espace de recherche et de création se fait rare dans les librairies spécialisées. De plus en plus considéré comme un médium restreint sur le plan créatif et peu rentable sur le plan économique, peu d’artistes semblent réellement s’y intéresser.
Quand il s’agit d’archivage de données, de stockage d’informations sonores ou visuelles, le cédérom fait l’unanimité : telle une méga-disquette surdouée, il fait incontestablement partie de l’avancée technologique. Pour la recherche plastique, c’est un médium peu exploité par les artistes qui, parfois, lui reprochent ses limites, son manque de souplesse, son architecture prédéterminée ou sa faible interactivité. Un médium clos sur lui-même qui offre peu de possibilités de développement et qui n’arrive pas à conquérir le marché.
Certains artistes ont tout de même succombé à la tentation. Lorsqu’en 1995, Dominique Gonzalez-Foerster édite Résidence : color, les artistes commencent à peine à s’intéresser à ce médium. Se rapprochant plus de la Boîte en valise de Duchamp que de l’archivage, Résidence : color permet au visiteur de se promener dans l’œuvre de l’artiste comme dans une villa labyrinthique, de salle en salle et de couleurs en ambiances. Des vues d’intérieurs proposent des possibilités de scénarios, engendrent des narrations subjectives. Le ludique et l’étrange se mêlent à travers 56 chambres dont, un jour ou l’autre, on a fini par connaître tous les recoins. Malgré tout, même si le procédé semble quelque peu dépassé aujourd’hui, il correspond aux premières tentatives engageantes en la matière.
La même année, Alberto Sorbelli réalise avec la participation d’un grand nombre d’artistes, graphistes, stylistes, informaticiens... Just from Cynthia. Ce projet se déroule en direct durant l’exposition “X/Y” à Beaubourg. Le cédérom est conçu à la fois comme une narration autour d’un personnage – Cynthia – et un magazine féminin avec ses tests “psycho”, ses pages “people”, beauté ou ses recettes de cuisine diététique.
“À l’époque, il y avait un enthousiasme général pour ces derniers gadgets de l’informatique et je me disais que si j’étais un artiste à l’époque du carrelage, je ne me serais pas posé de problème, j’aurais fait de l’huile sur toile parce que c’était la technique de pointe d’alors. Aujourd’hui, le moyen de communication, le non-choix du moment, c’est l’informatique. J’ai comme sujet un écran lumineux rectangle, les pixels, le mouvement de la souris, les éléments sonores, les éléments surprises, le hasard??? des caractéristiques sensuelles, de nouveaux problèmes esthétiques, visuels propres à l’ordinateur se posent”, explique-t-il.
Passés les premiers instants de fascination, le phénomène de mode ou de familiarisation aux nouvelles technologies, les artistes finissent par axer leurs recherches sur des supports plus souples ou plus performants. L’explosion de l’Internet a d’ailleurs accéléré le processus chez certains artistes comme Valéry Grancher. “Quand j’ai commencé à utiliser le cédérom, en 1993, les réseaux Internet n’étaient pas très développés. Ils se résumaient à des échanges d’e-mail. J’ai utilisé le cédérom pour gérer de la vidéo de façon interactive. Cela me permettait de stocker des fragments vidéo que je pouvais ensuite monter de façon virtuelle et aléatoire par ordinateur. Donc, le cédérom n’a jamais été pour moi une fin en soi, il reste un support mémoire”.
Essentiellement intéressé par les questions de flux et d’échanges dans son travail, Valéry Grancher est conquis par le développement du réseau, qui règle enfin pour lui les questions d’interactivité : “Les réseaux m’ont permis de créer des amorces qui évoluent dans le temps, sans que je puisse maîtriser le processus de création dans sa totalité”, précise-t-il. Les internautes qui se connectent sur le site “No Memory” (http://www.imaginet.fr/nomemory) sont, par exemple, invités à mettre leurs obsessions en résonance avec une photographie de leur intérieur. Avec “Self”, l’artiste a inauguré l’an passé la galerie virtuelle de la Fondation Cartier (http://www.fondation.cartier.fr). Chacune de ses interventions est une façon d’humaniser le Net.
Peu actif, le cédérom semble mieux adapté au stockage de données, alors que le Web va au-delà en distribuant l’information, en lui permettant de circuler. De plus en plus, les artistes tentent d’ailleurs de coupler le cédérom et le Net pour enrichir les possibilités de chacun de ces supports. Les recherches actuelles d’Alberto Sorbelli vont d’ailleurs davantage en ce sens. Son projet a reçu le soutien de la Délégation aux Arts plastiques (DAP) en 1996 : “Malheureusement, cette somme ne m’a pas donné la possibilité de louer un studio, de me procurer le matériel suffisant et de pouvoir payer quelques techniciens. Elle m’a surtout servi à pouvoir continuer à y travailler seul.”
Pascale Cassagnau, inspectrice à la création, chargée du multimédia à la DAP, reconnaît que si les projets de création sur cédérom sont peu nombreux, les moyens dont la DAP dispose sont eux aussi limités : “Nous fournissons généralement des aides aux pilotes dans la mesure où nos bourses de subvention ne dépassent pas 80 000 francs et que le coût de production d’un cédérom est extrêmement élevé. Rien n’est fait pour les promouvoir”. Le problème est peut-être purement économique : “Le cédérom d’artiste n’est pas dans l’économie commerciale. Il ne se vend pas auprès du grand public parce qu’il n’y a pas de diffusion, pas d’éditeurs, pas de distribution. Mais cela ne veut pas dire que si l’on ne changeait pas cette économie-là, ça ne fonctionnerait pas mieux.” Pour elle, même si cette technologie est amenée à être dépassée, elle n’est pas sûre que l’on ait fait le tour de ses possibilités. Son intérêt réside sûrement dans son union avec des projets en ligne, ou tout simplement dans le détournement du médium.
Les résultats les plus créatifs sont parfois engendrés par un usage “low tech” de la technologie : lorsque celle-ci est poussée dans ses derniers retranchements, on atteint ses limites. L’attrait de l’imperfection peut ainsi éviter le syndrome de la “démo” (démonstration) qui hante l’univers des nouvelles technologies.
“Low tech”, les disquettes et les cédérom de Claude Closky ont une interactivité minimum et se servent d’un système apparemment logique pour piéger l’intervenant à des fins ludiques. “Le premier que j’ai réalisé se limitait à cliquer sur un bouton. Une image apparaissait sur l’écran pendant trois secondes et demi : trois filles vous souhaitaient un bon anniversaire avant de disparaître. Il fallait sans cesse recliquer pour les revoir apparaître.” À partir de jeux simples comme le “Morpion”, l’artiste propose au public de se mesurer aux pouvoirs de la machine qui, bien évidemment, gagne à chaque fois, quitte à tricher !
Lucide concernant le support qu’il utilise, l’artiste révèle une réalité : “De toute façon, les plages d’un cédérom sont toujours prédéterminées par le programmateur. Dans certaines architectures, le navigateur a l’impression de faire son propre chemin et oublie celui qui est passé avant lui, a déjà tout testé et prévu. Dans les pièces que je réalise, le spectateur ne l’oublie pas.”
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Quel avenir pour la création ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°76 du 5 février 1999, avec le titre suivant : Quel avenir pour la création ?