Sous la férule de Bernard Foccroulle, Bruxelles 2000 avait commencé comme un vaste chantier où la liberté de parole primait. Deux ans plus tard, quel bilan dresser d’un événement culturel qui n’en fut pas un ? Rumeurs, interrogations et doutes minent un résultat pour le moins terne.
Les festivités du millénaire devaient résonner comme un nouveau départ, comme une table rase à partir de laquelle Bruxelles, désormais capitale européenne, allait accomplir sa mue pour entrer dans un XXIe siècle alternatif, mixte et voué à la technologie. Premier chef d’orchestre de la manifestation, Bernard Foccroulle avait placé l’événement sous le signe de la convivialité et de la parole échangée : colloques, rencontres et dialogues devaient favoriser un changement de mentalité dont la culture serait le messager, l’interprète et le symbole. La contribution de la Belgique aux commémorations marquant le passage au nouveau millénaire était ainsi placée sous le signe de la ville : comment penser la cité moderne en termes de citoyenneté ? Comment répondre aux défis sociaux qui ont bouleversé la trame urbaine ? Comment faire de la technologie un outil d’intégration et de liberté ? Comment faire de la création un agent de progrès dans le respect de la diversité des cultures amenées à se côtoyer dans la métropole moderne ?
Le pari était d’autant plus audacieux que Bruxelles constitue un exemple de destruction massif du tissu urbain et de paupérisation de ses centres traditionnels. L’ambition de Bruxelles 2000 se résumait a priori dans la volonté de faire rimer “bruxellisation” avec passion. Ainsi, fut-il décidé de faire du festival Bruxelles 2000 l’amorce d’une vaste campagne de restauration de la ville, premier jalon d’une rappropriation de l’espace urbain par ses habitants.
L’ambition était démesurée. Alors que Bruxelles 2000 n’avait encore rien produit, les polémiques se sont multipliées : politisation outrancière, réorganisation approximative, orientations sans cesse revues ont empêché le festival de répondre à ses objectifs premiers. Les projets lancés, puis annulés, ont mobilisé nombre d’intervenants souvent congédiés sans ménagement, et Bruxelles 2000 a donné le sentiment d’un état de pagaille indescriptible. La montagne n’a accouché que de menues souris : la “Zinneke Parade” – vaste défilé populaire permettant à toutes les cultures qui font Bruxelles aujourd’hui de se mêler –, “Voici” – panorama de cent ans de création “contemporaine” présenté au Palais des beaux-arts –, “Bruxelles, Carrefour des arts” – exposition historique organisée par la Fondation Europalia –, quelques concerts et animations comme le Grand Carrousel de Thierry Bosquet dans les anciennes casernes Albert.
Une fois les derniers lampions éteints, la question du bilan s’est immédiatement posée et reste d’actualité puisque les comptes ne sont pas encore totalement clôturés, Bruxelles 2000 ayant encore été actif en 2001. Le léger déficit prévisible masque une réalité en grande partie dominée par le peu d’activités générées. Il souligne surtout un certain nombre de carences structurelles. L’incapacité des responsables politiques à laisser se développer un projet qui échapperait à leur tutelle a lentement miné l’orientation de Bruxelles 2000. La redéfinition du projet culturel annoncée n’a pas eu lieu et le festival s’est épuisé en une multiplicité de petits événements sans réelle cohérence globale. Bruxelles 2000 s’est enlisé avant même d’exister. Si la sensibilisation à la culture urbaine à travers l’état de ses rues et de ses façades a favorisé la rénovation de nombre de bâtiments publics et d’institutions, force est de constater que le chantier est loin d’être clos. L’état de délabrement du Palais des beaux-arts de Bruxelles reste dramatique, la place des Martyrs n’est pas sortie de son purgatoire et nombre de quartiers défavorisés n’ont pas vu le changement promis. Symptomatique de cet échec, l’affectation du quartier général de Bruxelles 2000 : les anciens établissements Vanderborght. En plein cœur de la ville, ce bâtiment qui appartient à la banque Artésia – ex-Paribas – était promis à devenir un immense musée d’art contemporain. La banque Artésia a passé un accord avec la Ville qui doit injecter plus de 6 millions d’euros dans une rénovation de 11 000 m2. Au terme de ces travaux lancés dans le cadre de Bruxelles 2000, les collections de la Bacop – autre banque qui avait fusionné avec Artésia – devait y être exposée dans un environnement entièrement repensé pour accueillir la création la plus actuelle. La vie agitée des institutions bancaires européennes en a décidé autrement. Au terme de restructurations et d’absorptions successives, la Bacop est entrée dans le giron de Dexia – ex-Crédit Communal de Belgique – qui a immédiatement reporté toute décision quant à la réalisation de l’ACA, à savoir l’Artésia Center for the Arts... L’importance des surfaces, la difficile mise en œuvre d’un projet muséologique dans un lieu peu adapté et le volume des collections à gérer au terme de ces restructurations (la collection de Dexia, spécialisée dans le patrimoine belge, jointe à celle imposante d’Artésia et à celle, spécialisée dans l’art contemporain, de la Bocop, s’estime à plusieurs milliers de pièces) n’ont pas manqué d’effrayer les responsables de la banque. Et deux ans plus tard, rien n’est décidé quant à l’avenir de ce centre dont les budgets pharaoniques risquent d’engloutir l’ensemble de la politique culturelle de Dexia. Bruxelles 2000 n’aura servi qu’à révéler des problèmes sans apporter de solutions réelles. Tout au plus appréciera-t-on de voir que de la myriade d’événements proposée, un seul s’est réellement détaché. La “Zinneke Parade”, vaste rassemblement populaire bigarré, semble promis à reprise. Pour témoigner sans doute que face aux manœuvres politiques tortueuses, aux projets grandiloquents et aux intentions sans lendemain, la liesse populaire reste seule porteuse de sens dans une ville vouée à la “zwanze”, humour bruxellois teinté de dérision et d’un non sens à tout le moins surréaliste.
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Que reste-t-il de Bruxelles 2000 ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°147 du 19 avril 2002, avec le titre suivant : Que reste-t-il de Bruxelles 2000 ?