Pendant la crise
des missiles à Cuba,
en 1962, le gouvernement britannique avait mis au point un plan d’évacuation rapide de tous les chefs-d’œuvre conservés à Londres, en cas
de guerre nucléaire. Ce plan est resté d’actualité pendant de nombreuses années.
C’est ce que révèlent
des documents secrets récemment déclassifiés.
Londres (de notre correspondant) - Le plan d’urgence, qui avait pour nom de code “Operation Methodical”, avait été décidé le 26 octobre 1962 – quatre jours seulement après que le président Kennedy eut placé Cuba en “quarantaine” navale avec l’espoir d’obtenir le retrait des missiles soviétiques. Le 28 octobre, Khrouchtchev commença à reculer, mais jamais le monde n’avait frôlé d’aussi près la guerre nucléaire. Bien que les Soviétiques eurent renoncé, le plan d’action “Operation Methodical” fut maintenu. En cas d’urgence, les chefs-d’œuvre des musées nationaux et des palais royaux devaient être chargés dans onze grands camions de déménagement et évacués dans des carrières susceptibles de les accueillir au pays de Galles et dans le Wiltshire. Le plan d’action relevait de la responsabilité du ministère des Finances en sa qualité d’organe de financement des musées nationaux. Pendant plus de deux ans, l’administration s’est démenée pour mettre au point un plan qui lui a souvent paru inapplicable.
Mary Loughnane, du ministère des Finances, a exposé les grandes lignes du plan d’action dans une note interne du 6 septembre 1963, et a ajouté : “Savoir si ce plan a la moindre chance de réussir... est une autre question ; mais cet exercice est fondé depuis le départ sur le principe qu’aucun grand chef-d’œuvre ne serait déplacé sans que des mesures de précaution manifestes soient mises en œuvre.” Un autre document insistait sur la nécessité de conserver les œuvres dans des lieux d’exposition publics “pour des raisons de moral national”. On craignait en effet que les visiteurs, en constatant la disparition des Titien et des Turner des cimaises de la National Gallery, ne comprennent que trop bien qu’il était temps de fuir Londres – créant la panique sur les routes.
Réalisme oblige
Les Finances auraient alors subi des pressions des stratèges militaires afin d’assurer la viabilité
d’“Operation Methodical”. Comme l’ont expliqué les responsables, le 22 octobre 1963 (dans leur langage un peu alambiqué) : “Le plan ne semble pas utopique, même sur la base de la dernière phase d’avertissement à présent fixée à 48 heures à peine.” Lorsque les ministres envisageraient sérieusement de déclencher les plans d’urgence, ils devraient en informer les Finances. Les camions de déménagement et les chauffeurs seraient alors placés en une phase d’alerte de 6 heures.
Si l’ordre d’alerte de 6 heures était donné à midi, les troupes armées et le personnel des musées ne seraient à pied d’œuvre qu’à 18 heures, et suivrait alors une période de nuit de 12 heures pour charger les camions, leur donnant ainsi “toutes les chances de partir sans être repérés ni bloqués par les embouteillages”. Il était par ailleurs précisé dans le document : “Bien évidemment, personne ne peut garantir que tout se passera sans heurts, mais je pense que l’on peut affirmer sans trop s’avancer que le plan a des chances d’atteindre son objectif limité.” “Au mieux, ce plan permettrait de sortir les plus beaux trésors de Londres et de les placer dans des lieux où ils seraient raisonnablement à l’abri d’une attaque nucléaire, mais aussi des pilleurs et des intempéries. De nombreux trésors de très grande valeur devront être laissés sur place dans les musées en espérant qu’ils seront épargnés, même si leurs chances sont ostensiblement minimes. Mais prévoir une opération dans ce but, sur une base plus large, ne serait pas réaliste au regard de ce qui est prévu dans les autres domaines.” On l’aura compris, sauver les trésors artistiques n’était pas une priorité en cas de guerre nucléaire.
La bataille de l’espace
La National Gallery fut alors à l’origine de quelques difficultés, lorsque son directeur, Philip Hendy, suggéra que la carrière de Manod, au pays de Galles, soit entièrement réservée aux tableaux du musée (au cours de la Seconde Guerre mondiale, l’ensemble de la collection y avait été stocké). Finalement, un compromis fut adopté, et la Royal Collection s’est vu attribuer un camion qui partait pour Manod, au lieu des deux prévus au départ, la Tate et la National Gallery ayant chacune droit à deux chargements. L’avant-projet d’“Operation Methodical” fut approuvé par les ministres à la fin du mois d’octobre 1963, mais il ne fut finalisé qu’en décembre 1964, après l’arrivée au pouvoir d’Harold Wilson. Le plan secret fut alors communiqué aux directeurs des collections nationales. Mais lorsqu’il parvint à la Royal Collection, il ne fut pas remis à Anthony Blunt, mais à son collaborateur, Oliver Millar. Plus tôt cette même année, Anthony Blunt avait fini par avouer ses activités d’espion soviétique ; il a pourtant conservé sa fonction de conservateur des collections royales jusqu’en 1972. Le mois dernier, Oliver Millar déclarait : “Je me souviens de grandes discussions au début des années 1960 concernant la limitation de l’espace à Manod, mais dès qu’“Operation Methodical” a été acceptée, je n’en ai plus entendu parler jusqu’à ma retraite en 1981.” Le ministère britannique des Affaires étrangères se refuse à préciser si “Operation Methodical” est toujours en place, mais les plans de ce type sont remis à jour de temps à autre. Un porte-parole du gouvernement a expliqué que “les plans d’urgence visant à sauvegarder les œuvres d’art existent bel et bien, mais nous n’en discutons jamais les détails”.
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Quand les musées de Londres craignaient la bombe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°141 du 25 janvier 2002, avec le titre suivant : Quand les musées de Londres craignaient la bombe