En créant des œuvres d’art totales qui sollicitent les cinq sens, les concepteurs de jardins manifestent une créativité inédite.
Un concert d’oiseaux, le parfum sucré d’un néflier, les teintes roses, pourpres ou violacées des galliques (variété de roses parmi les 500 plantées) et les rires d’écoliers qui courent à travers les parterres ou le cri strident de Peter, l’un des cinq paons du domaine. Bienvenue au château du Rivau, situé entre Richelieu et Chinon. En préambule de la visite, Patricia Laigneau, la propriétaire du château qu’elle a acheté avec son époux en 1992, retrace son histoire. Le couple cherchait une maison secondaire, il ne pensait pas s’engager dans un projet de vie. Tous les deux ont passé des années à restaurer le château du XVe siècle, puis les écuries Renaissance transformées en hôtel, à dessiner et replanter le jardin, et à communiquer leur passion aux visiteurs. Composées de quinze parcelles différentes, ce jardin « d’esprit naturaliste », au dessin bien plus libre que celui des parterres géométriques à la française, fourmille de trouvailles. Au milieu du potager qui occupe le centre de la cour, surgit ainsi une taupe géante, une sculpture qu’il faut prendre le temps de désherber régulièrement. À l’automne, le potager se transforme en royaume des courges (plus de 40 variétés dont certaines en voie de disparition) : pâtisson, courge de Siam, turban d’Aladin, melonnette Jaspée, potiron bleu de Hongrie, sucrine du Berry, etc. Une fois passées les douves, le visiteur s’engage dans une belle allée bordée d’iris qui conduit à la forêt enchantée : l’entrée est gardée par un dragon de lierre. Plus loin, la volière du Phénix accueille des faisans dorés. Depuis un belvédère de bois façon donjon, on peut admirer l’édifice Renaissance qui surgit des frondaisons. Et voici le bois amoureux : de fins érables champêtres au tronc chaulés de blanc qui ont été greffés pour s’enlacer. « J’ai imaginé un parcours qui aménage des surprises pour le visiteur, à la manière du jardin médiéval qui était un lieu d’amusements », souligne la châtelaine, panier et sécateur à la main lors de la visite. Avec seulement six jardiniers pour entretenir les six hectares du domaine, deux mains vertes supplémentaires ne sont jamais de trop pour couper les plantes fanées et ramasser les mauvaises herbes.
Jonquilles, narcisses, tulipes, iris, roses, vivaces, légumes du potager, graminées… les jardins du Rivau offrent une succession de tableaux vivants tout au long de l’année. Sans compter que le lieu est un réservoir de biodiversité : on le mesure dès l’entrée tant le chant des oiseaux est omniprésent. « Chaque plante attire un type d’insectes, ce qui explique le grand nombre d’oiseaux qui ont ici le couvert, des graines à portée de bec, de l’eau et des arbres pour nicher », se réjouit la propriétaire. Sollicitant tous les sens, le jardin illustre le principe d’une œuvre totale qui, comme le Gesamtkunstweerk du romantisme allemand, réunit plusieurs arts. « Architecture, arts plastiques et botanique s’y allient constamment », analyse Chantal Colleu-Dumond, directrice du domaine de Chaumont-sur-Loire (extrait du Jardin contemporain. Le Guide, Flammarion, 2019), qui accueille chaque année le Festival international des jardins. Et à l’heure de l’art immersif, c’est un spectacle qui mobilise tous les sens, l’un des rares « à permettre une immersion totale dans l’œuvre, avec des changements permanents de points de vue, de perspectives et d’éclairage. Au jardin, on est dans l’œuvre, on ne se contente pas de la contempler de l’extérieur. »Rattachée aux Beaux-Arts au XVIIIe siècle, cette discipline a connu des hauts et des bas. Délaissée après la Seconde Guerre mondiale, elle connaît un renouveau. La crise du Covid, les enjeux climatiques ont sensibilisé le public à l’importance d’un environnement naturel riche, beau, vivant. Le label « Jardin remarquable » en témoigne. Créé il y a vingt ans par le ministère de la Culture et délivré selon des critères d’exigence et de qualité, celui-ci regroupe près de 480 parcs et jardins en France et une trentaine en Belgique. Régulièrement enrichi de nouveaux lieux, son succès illustre l’intérêt des propriétaires publics ou privés qui s’investissent dans une grande variété de projets. Parmi les sept nouveaux jardins labellisés début 2024, on trouve par exemple une oliveraie ancestrale (domaine de la Mouissone sur les hauteurs de Grasse), un parc arboretum (Saint-Setiers en Corrèze), un jardin d’inspiration Art déco (parc Boussard à Lardy, en Essonne), un autre de style japonais (à Bonnac-la-Côte, en Haute-Vienne).
L’univers du jardin noue un autre lien avec la création contemporaine : bon nombre de parcs constituent aussi des expositions à ciel ouvert, offrant un écrin naturel aux œuvres d’art. Amatrice d’art et collectionneuse, Patricia Laigneau a parsemé le domaine du Rivau de 23 sculptures. Au gré des déambulations, on découvre un collier en céramique de Céline Turpin, un piercing pour chênes de Philippe Ramette, deux bottes gargantuesques de Lilian Bourgeat, un gisant néo-baroque de Lionel Estève… À une centaine de kilomètres plus au nord, Chaumont-sur-Loire propose aussi un parcours d’art contemporain dans le parc et le château avec, chaque année, de nouvelles œuvres qui l’enrichissent. Non loin d’Aix-en-Provence, la propriété viticole du château La Coste invite régulièrement des architectes à bâtir des pavillons. Les constructions de Tadao Ando, Jean Nouvel, Frank Gehry, Renzo Piano, Richard Rogers, voisinent avec des œuvres monumentales dans un décor de pinèdes et vignobles. De quoi réjouir tous les amateurs d’art et de nature.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Quand le jardin se fait œuvre
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°777 du 1 juillet 2024, avec le titre suivant : Quand le jardin se fait œuvre