Palmyre instrumentalisée par Poutine

Poutine capitalise sur sa victoire à Palmyre

À peine reprise à l’État islamique, Palmyre accueille un orchestre symphonique russe venu célébrer sa victoire et acclamer Poutine

Le correspondant du JdA à Moscou a pu se rendre à Palmyre dans le cadre d’une vaste opération de communication orchestrée par Vladimir Poutine, après la reprise du site grâce aux troupes russes. Il a pu avoir un aperçu de l’état des destructions et interroger diverses personnalités présentes sur place à propos des initiatives en cours pour restaurer « la perle du désert ».

PALMYRE - Dans une opération de communication sans précédent le 5 mai dernier, Vladimir Poutine a voulu s’imposer en défenseur du patrimoine mondial. Dans les ruines romaines deux fois millénaires de Palmyre, fourmillant de soldats russes, le chef du Kremlin a fait organiser un concert de musique classique, alors que le vacarme des canons continue de retentir. Les combattants de l’État islamique, qui ont partiellement détruit le site classé au patrimoine mondial de l’Unesco, n’ont reculé que d’une dizaine de kilomètres. Daech a capturé Palmyre en mai 2015, pour en être chassé onze mois plus tard, en partie grâce à l’aviation russe. Dorénavant, une petite base militaire russe jouxte les ruines et marque la souveraineté du Kremlin sur le trésor culturel.

Pour amplifier la résonance de l’événement, le Kremlin a rempli l’amphithéâtre romain de Palmyre avec une centaine de journalistes venus de Moscou, une délégation d’ambassadeurs de l’Unesco et quelques sommités de la culture russe. Le Journal des Arts a pu assister à l’événement et s’entretenir avec des représentants de l’Unesco, ainsi que le directeur du Musée de l’Ermitage, Mikhaïl Piotrovsky, et le directeur du département d’archéologie de l’académie des sciences russes, Nikolaï Makarov.

L’état des lieux selon Mikhaïl Piotrovsky
De prime abord, le site de Palmyre conserve une apparence majestueuse. L’amphithéâtre, qui a servi de décor macabre à l’exécution de dizaine de personnes par l’État islamique, a été épargné. La plupart des structures et colonnes du site apparaissent intactes. Sandro Fernandes, un journaliste brésilien ayant visité Palmyre juste avant le début de la guerre civile témoigne d’ailleurs : « L’aspect général du site correspond à mes souvenirs. Les destructions ne sautent pas aux yeux. » Mikhaïl Piotrovsky, qui est aussi un spécialiste du monde islamique et a visité Palmyre à de nombreuses reprises, juge pourtant que le site a été « détruit à 50 % ». « Les terroristes ont ciblé les symboles les plus célèbres : l’arc de triomphe et le temple de Baal ».

De l’arc de triomphe, il ne reste que les deux piliers, dont l’un est, cela est manifeste, une reconstitution datant des années 1930. « Il est très probable que l’arc puisse être restauré », estime M. Piotrovsky, ajoutant que le travail sur cette pièce devrait être « la priorité ». Quant à la collection du Musée de Palmyre, dont l’ancien directeur Khaled Asaad a été décapité par Daech pour son refus de collaborer, M. Piotrovksy révèle que les pièces qui n’ont pu être pillées ont été sciemment vandalisées. La célèbre sculpture dite du « lion de la déesse Allat » a été sérieusement endommagée. La presse n’a pas été autorisée à s’approcher ni du temple de Baal, ni du musée. N’ayant eu, comme le reste de la délégation, qu’une demi-journée pour inspecter les ruines, M. Piotrovsky reste prudent sur l’estimation des dégâts et préfère évoquer la restauration de Palmyre. « Le Musée de l’Ermitage va activement participer aux consultations de l’Unesco pour la restauration du site  (…) Il faut faire de Palmyre le symbole de la protection de la culture et de la lutte du bien contre le mal ». Mettant en avant le rôle de la Russie dans cette tâche, il cite en exemple les efforts réalisés par la Russie soviétique pour réparer les destructions causées par la Seconde Guerre mondiale.

Une démonstration médiatique
En sa qualité d’archéologue Nikolaï Makarov, juge que le profil du site de Palmyre a été préservé. « L’authenticité du paysage existe toujours », explique-t-il, précisant toutefois être un médiéviste non-spécialiste de l’antiquité gréco-romaine. « La restauration sera un très long effort, mais peut-être que ce travail méticuleux permettra de nouvelles découvertes, portant notre attention sur des pistes que nous n’avions pas vu jusque-là. » Il se déclare confiant dans la possibilité de restaurer l’arc de triomphe « étant donné que les fragments sont de grande taille ».
Tous les ambassadeurs auprès de l’Unesco participant à la délégation ont amplement remercié la Russie pour ses efforts militaires visant à libérer Palmyre. Tous appartiennent à des pays affichant des relations cordiales avec Moscou (Arménie, Zimbabwe, Serbie, Pérou, Inde, Brésil). Personne, en revanche, du côté occidental. « Nous avons invité les ambassadeurs français et américains, mais ils ont décliné pour des raisons de sécurité. Nous pensons que les vraies raisons sont politiques », glisse une source dans la délégation russe.

Également sur une ligne très politique, l’ambassadrice de la Syrie auprès de l’Unesco Lamia Chakkour se félicite que « tout le groupe des BRICS (Brésil, Russie, Chine et Afrique du Sud, ndlr) [ait été] présent et [soit] un soutien considérable au sein de l’Unesco ». Elle récuse avec indignation l’idée que Bachar Al-Assad ait pu volontairement laisser entrer Daech dans Palmyre avec l’intention de créer l’émoi dans l’opinion publique internationale, et forcer ainsi l’Occident à se ranger derrière le pouvoir de Damas. « Personne ne peut abandonner son âme », ajoute-t-elle, défendant son président. Plus pragmatique, l’ambassadeur du Pérou auprès de l’Unesco, José Manuel Rodriguez Cuadros a confié au Journal des Arts : « L’objectif premier de notre visite est d’attirer l’attention médiatique sur le sort du site de Palmyre, afin de lever les financements nécessaires aux travaux de restauration. Aucun d’entre nous n’est un spécialiste de l’Antiquité. Nous sommes aussi ici pour montrer que le niveau de sécurité est suffisant pour que les experts commencent à travailler sur l’évaluation des dégâts. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°458 du 27 mai 2016, avec le titre suivant : Poutine capitalise sur sa victoire à Palmyre

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