Le Nouveau Musée national de Monaco offre une relecture de l’œuvre mésestimé de Kees Van Dongen. Une rétrospective en forme d’étape d’un projet au long cours.
Devant mes filles nues aux châles violents, les critiques ont craché de l’encre. Or, ce n’était pas tellement par amour de la couleur stridente que j’opposais les rouges aux verts ; mais comme je n’avais pas d’argent pour me payer des modèles professionnels, j’allais dans les bistrots ramasser les filles qui, pour un café-crème, acceptaient de poser quelques heures. Et ces braves gosses portaient en maquillages hurlants l’enseigne de leur métier sur leur visage. C’est ainsi que naît une réputation, et que l’on devient fauve. » Modeste, Kees Van Dongen ? Ce n’est pas nécessairement ce que l’on retient de l’exposition du Nouveau Musée national de Monaco (NMNM), qui retrace la carrière de ce jeune anarchiste des faubourgs de Rotterdam devenu portraitiste de la haute société parisienne. Insaisissable, sans aucun doute. Déroutant, certainement.
Cette rétrospective monégasque intervient un an et demi avant l’installation du NMNM à la villa Paloma, sur les hauteurs de la principauté, où un étage entier sera dédié au peintre d’origine hollandaise. Avec une vingtaine d’œuvres acquises au cours de ces dernières années – les tableaux et les œuvres sur papier y figurent en nombre égal –, ce « musée Van-Dongen » viendra consolider l’armada de musées monographiques essaimant la Côte d’Azur (Musée Léger à Biot [lire p. 23], Musée Matisse et Musée Chagall à Nice...). Il amorce aussi une réhabilitation de l’œuvre de l’artiste résident monégasque de 1949 à sa mort.
Réalisée en collaboration avec le Musée des beaux-arts de Montréal, cette exposition revêt une dimension d’autant plus importante que l’Amérique du Nord n’a jamais accueilli d’exposition consacrée au peintre, et qu’il n’existe aucune publication en anglais à son sujet. Nathalie Bondil, directrice du musée montréalais, et Jean-Michel Bouhours, directeur du NMNM, ont disposé d’une petite année seulement pour son organisation.
Si l’espace des galeries du quai Antoine-Ier est loin d’être idéal pour l’accueil d’un tel événement, la scénographie transforme habilement un couloir impersonnel à la tuyauterie apparente en un lieu frais et feutré. Particulièrement nombreux, les grands formats sont néanmoins desservis par l’exiguïté des salles, organisées de manière chronologique. Trophée de la collection du NMNM, La Chimère pie (1895) en est un exemple. Le tableau de taille imposante ouvre le parcours sur une note personnelle et spirituelle qui disparaîtra très vite par la suite. Témoins de la vie parisienne, de ses ouvriers, de ses bourgeois endimanchés comme de ses femmes de petite vertu, les œuvres des débuts sont empreintes d’une poésie mélancolique et d’une ironie mordante. Ces scènes aux traits incisifs croquées à l’encre noire pour les revues satiriques comme L’Assiette au beurre ou Gil Blas sont dans la lignée des dessins de Steinlein ou des monotypes de Degas. Cependant, dès 1905, avec l’introduction de couleurs chatoyantes dans d’énergiques scènes de cirque, les œuvres deviennent paradoxalement plus froides. Van Dongen réserve son émotion pour la sphère privée, à l’exemple de deux superbes maternités de 1906 figurant son épouse et sa fille.
Les portraits de société, que préfigure la série de femmes andalouses, ont été réalisés à l’apogée de cette ambivalence picturale, lorsque les compositions riches en matière manquent singulièrement d’âme. Pris dans le tourbillon des années 1920, Van Dongen s’oublie dans les fastes des célébrations de l’après-guerre et l’on pourrait croire qu’il a perdu son art en chemin. Mais quelques soubresauts qualitatifs, comme L’Horloge de la plage de Deauville (v. 1935) ou Jour de pluie à Monte-Carlo (v. 1950), démontrent que l’artiste était encore capable du meilleur. Si la présente exposition n’élude pas les errances du peintre, conspué pour sa participation au voyage de 1941 des artistes français en Allemagne, elle s’attache avant tout à décrire l’évolution de son style, dont une grande cohérence se dégage au final. Car, s’il est passé du statut d’anarchiste à celui de peintre mondain, Van Dongen a gardé son rôle de témoin de la société, et en particulier de ses femmes.
Jusqu’au 7 septembre, Nouveau Musée national de Monaco, Salle d’exposition du quai Antoine-Ier, 4, quai Antoine-Ier, Monaco, tél. 377 98 98 19 62, www.nmnm.mc, ouvert tlj 12h-19h. Catalogue, coéd. Hazan/NMNM/Musée des beaux-arts de Montréal, 360 p., 300 ill. couleurs, 45 euros, ISBN 978-275410-2971.
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Pour le meilleur et pour le pire
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaires : Jean-Michel Bouhours, directeur du NMNM ; Nathalie Bondil, directrice du Musée des beaux-arts de Montréal - Nombre d’œuvres : 200 tableaux, œuvres sur papier et céramiques, de 1895 à 1951 - Scénographie : Jasmin Oezcebi - Itinérance : Musée des beaux-arts de Montréal, du 22 janvier au 19 avril 2009 ; Museu Picasso de Barcelone, du 10 juin au 28 septembre 2009
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°285 du 4 juillet 2008, avec le titre suivant : Pour le meilleur et pour le pire