Vénus bandant les yeux de l’Amour et Amour Sacré et Amour Profane, deux tableaux de Titien conservés à la Galerie Borghèse, auraient fait l’objet de restaurations abusives au siècle dernier... C’est en tout cas ce qu’affirme l’historien de l’art Maurizio Calvesi, en s’appuyant sur des clichés du XIXe siècle retrouvés dans les archives secrètes de la Bibliothèque Vaticane. Mais pour Maria Grazia Bernardini, directrice du laboratoire de restauration de la Surintendance aux Biens artistiques, les analyses scientifiques infirment les déclarations de Calvesi.
ROME (de notre correspondant) - Feuilletant par hasard un album du XIXe siècle reproduisant les toiles de la Galerie Borghèse, Maurizio Calvesi constate avec stupeur que deux œuvres de Titien ne correspondent pas à leur état actuel. Dans Amour Sacré, Amour Profane, la poitrine de la jeune femme est devenue moins provocante et sa coiffure a été modifiée : sur le document photographique, les cheveux couvrent l’oreille, descendent plus bas sur le front et retombent derrière le visage jusqu’au niveau du nez. Dans Vénus bandant les yeux de l’Amour, la finesse du visage de la déesse a laissé place à des joues toutes rebondies, tandis que le profil d’un autre personnage a été adouci et les doigts de la main droite ont été détachés l’un de l’autre – ils étaient à l’origine accolés.
Le grand historien de l’art fait part de ses soupçons au journal La Repubblica, qui s’empresse de publier ses révélations. Et voilà comment est née l’“affaire Titien”, qui n’en finit plus d’agiter les milieux artistiques romains. Pour Calvesi, les tableaux ont été soumis au siècle dernier à un nettoyage radical. Ils auraient ensuite été reconstitués abusivement en prenant pour modèle des reproductions de la fin du XVIIIe siècle. Une gravure de Pietro Bonato (1765-1820) concorde en effet très précisément avec la version actuelle d’Amour Sacré et Amour Profane. Maria Grazia Bernardini qui, selon une curieuse coïncidence, vient d’effectuer une intervention sur les œuvres concernées, s’insurge contre ces accusations. Les Archives historiques de la Galerie Borghèse ne font nulle part mention de la soi-disant restauration du XIXe siècle évoquée par Calvesi. Mais surtout, ni l’œil exercé des restaurateurs, ni les analyses sophistiquées auxquelles les tableaux ont été soumis – radiographie, réflectographie, photographie en lumière rasante, clichés aux rayons X, sections stratigraphiques, analyse des pigments... – n’ont détecté de traces de repeints. Elle ajoute enfin que les clichés antérieurs à 1880 ne sont pas totalement fiables. La contre-attaque de Calvesi, toujours dans La Repubblica, ne s’est pas fait attendre : si les tirages du XIXe siècle altèrent les couleurs, ils ne modifient pas les formes. D’ailleurs, les autres tableaux de la Galerie Borghèse reproduits dans l’album correspondent parfaitement à leur aspect actuel.
Les photographies restent pour lui une donnée objective, ce que confirment les radiographies publiées dans le catalogue de l’exposition "Tiziano Vecellio : Amour sacré et Amour profane". Deux remarques pourraient venir éclairer utilement cette polémique. Tout d’abord, si l’on admet avec Calvesi que les photographies retrouvées documentent effectivement l’état des tableaux avant leur nettoyage supposé, une question reste en suspens : pourquoi les restaurateurs du XIXe siècle – qui disposaient des clichés – ne les ont-ils pas consultés plutôt que de recourir à des gravures plus anciennes ? Enfin, étant donné la ressemblance entre lesdites gravures et la version actuelle, les photographies ne seraient-elles pas le témoignage des repeints, éliminés ensuite pour retrouver la version originale ?
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Polémique autour de deux tableaux de Titien
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°44 du 26 septembre 1997, avec le titre suivant : Polémique autour de deux tableaux de Titien