Je reprends le fil de mes tentatives téméraires de construire une ontologie de la peinture par le biais du miroir de sa reproduction vidéo. Nous en étions arrivés à la conclusion que le musée et la vidéo médiatisent diversement, et complémentairement, la peinture – le musée donnant une meilleure perception du tableau « en entier », c’est-à-dire de son échelle, mais aussi de son épaisseur et de son poids, tandis que la vidéo permet de mieux en apprécier les détails…
Mais je me rends bien compte combien cette comparaison est polémique. À considérer le musée comme un « média » au même titre que la vidéo, on oublie que le premier inclut, contrairement au second, l’œuvre originale qu’il médiatise. Pire encore, on fait comme si l’œuvre originale n’avait pas plus d’intérêt que sa reproduction…
On pourrait supprimer toute polémique en précisant que « le musée », dont il a été jusqu’ici question, ne désigne pas l’institution qui conserve mais seulement celle qui expose. La distinction est assez conceptuelle parce que, s’il existe des institutions qui abritent sans exposer (comme le Fnac), l’inverse n’existe pas. Tout organisme qui expose des œuvres redouble d’attention à bien les protéger, non seulement des intempéries, mais également du public. En parlant du musée comme média, je ne désigne que l’ensemble des décisions qui relèvent de la monstration des œuvres : le choix du mur, l’emplacement des lumières, la distance au sol, la hauteur du plafond, le recul de la salle, la couleur des cimaises, le fauteuil pour s’asseoir
devant, etc.
On me dit souvent que les yeux n’ont pas besoin de vidéo pour bien voir les détails d’un tableau. Certes ! Il suffit de monter dans la cabine d’une grue, munie de deux bras supportant deux spots convergents orientés à 30 ° – grue qu’on pourrait diriger à loisir sur toute la surface du tableau en variant le recul. Dans cet appareil phénoménal, la vidéo n’aurait alors, semble-t-il, plus aucun avantage sur le musée. Et me revoilà d’accord – provisoirement – avec le bon sens de mes lecteurs.
Il existe toutefois un moyen plus souriant et plus réaliste. Il suffirait d’installer au milieu de chaque salle une sorte de triple estrade qu’on escaladerait comme des marches d’escalier de 40 centimètres chacune. On pourrait s’asseoir sur la deuxième marche ou marcher le long du palier le plus haut, à 1,20 mètre du sol. Mon expérience m’a montré qu’il n’y a presque plus de problèmes de reflets quand j’utilise le grand pied de la caméra qui monte à 2,70 mètres, soit la hauteur des yeux d’une personne moyenne debout sur l’estrade. De plus, une fois juché sur un tel promontoire, le spectateur peut enfin utiliser ses jumelles qui n’étaient d’aucun usage quand un voile blanc recouvrait tous les personnages, aux visages déformés par la contre-plongée, venus assister, dans les salles rouges du Louvre, au Sacre de Napoléon. Puisse cette idée, qui n’a rien de technologique, retenir un jour l’attention des conservateurs qui liraient ces lignes.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Plaidoyer pour une estrade centrale
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°559 du 1 juin 2004, avec le titre suivant : Plaidoyer pour une estrade centrale